Une fille de l’Est… 3ème partie

« Attends, et tu seras guéri. Que demandes-tu davantage? » (Julie ou La Nouvelle Héloïse, Jean-Jacques Rousseau)

Je n’ai même pas une photo de lui, mais je me souviens parfaitement de son visage. Quand je ferme les yeux, je peux entendre sa voix. Et je garde toutes ses lettres manuscrites qu’il a écrites avant que je rencontre mon futur époux. Et aussi celles qu’il m’a écrites après. Toutes sauf une…

J’ai donc rencontré mon futur époux, cela fait plusieurs semaines que nous sortons ensemble. Il est très vite tombé amoureux de moi. Et moi ? Moi je suis dans le flou sentimental total. Je pense à mon ancien fiancé marocain que j’ai laissé tomber pour l’homme du Nord. Je pense aussi à ce dernier. Surtout à lui. Beaucoup.

Qui j’aime vraiment ? Et qui m’aime sincèrement ?

Lorsqu’il a su que j’avais quelqu’un d’autre, il est sorti de son silence tellement douloureux pour moi. Il m’avait tellement déçue et je le lui ai dit. Il a décidé de ne pas lâcher. Esprit de compétition ? Probablement. Amour ? Je ne voulais plus y croire. Je n’avais plus envie ni besoin d’y croire. Je venais de rencontrer celui qui allait devenir le père de mes enfants, je le sentais, je le savais. J’ai donc décidé de lutter contre la tentation de rechuter. Je pleurais en lisant ses lettres d’amour, celles d’avant notre séparation, mais aussi celles qu’il continuait à m’envoyer… Je les ai toutes gardées, dans un carton couvert de poussière depuis. Je viens de les ressortir…

« Tant qu’on désire on peut se passer d’être heureux ; on s’attend à le devenir : si le bonheur ne vient point, l’espoir se prolonge, et le charme de l’illusion dure autant que la passion qui le cause. » (« Julie ou la Nouvelle Héloïse », Jean-Jacques Rousseau)

Je les redécouvre, une par une, et je ressens un énorme soulagement. Aujourd’hui, seize ans plus tard, je pense qu’il m’aimait vraiment, à sa manière. Mais il m’aimait. Il ne mentait donc pas, même si ses paroles et ses actes n’étaient pas toujours en concordance. Même si l’amour qu’il exprimait dans ces lettres était contradictoire avec ses longues périodes de silence. Mais les sentiments étaient là.

« A 30 ans, je fais un peu un premier bilan de ma vie et je me rends compte que l’amour, et à l’intérieur de l’amour, la tendresse, doivent être au centre de ma vie, de mon existence. C’est un besoin. Même si parfois, je montre le contraire, ou j’agis d’une manière qui ne va pas dans ce sens. J’ai souvent besoin de repos, de me retrouver. Je suis parfois solitaire. Je ne dis rien, mais je pense beaucoup […] L’amour ne se dit pas, il se fait. Parfois je pense cela. Et quand il ne peut pas se faire, il se dit. […] Et si parfois je ne dis pas que je t’aime, tu entendras ces mots dans mon silence » (décembre 2002)

Et à l’époque, je tremblais à chaque fois que j’ouvrais une nouvelle lettre de sa part, impatiente de ressentir un instant de bonheur pur…

« Et puis, il y a toi. Au cinéma ce week-end, tu avais mis tes lunettes. A un moment, tu m’as souri tellement tendrement, puis embrassé tellement amoureusement. Je me suis répété en moi-même que je n’avais jamais été aimé aussi intensément. Tu es la lumière, la vie, la chaleur et l’amour, tellement spontanés. Je me dis parfois, qu’il est de mon devoir de ne pas susciter ton amour pour moi, parce que je t’aime et que je me connais un peu… » (avril 2003)

Donc tout s’est passé comme cela devait se passer. Nous n’étions pas faits l’un pour l’autre. Nous n’étions pas compatibles. Mais l’année qui allait s’écouler serait difficile pour moi, mais aussi pour mon futur époux.

Car après m’avoir jugée, déçue et rejetée, l’auteur des lettres est revenu à la charge. Il m’a écrit à nouveau. Il m’appelle. Son fils m’enverra des dessins… Ses mots d’amour, sa voix. Et aussi sa colère. Car une fois compris que j’essaie de continuer sans lui, il me balancera en pleine figure que c’est moi qui ne l’ai jamais aimé sinon je ne serais pas passée à autre chose aussi vite. Aussi vite !? Après de longues semaines de silence de sa part ? Après toutes ses hésitations, tous ses doutes ?

Trop vite ?

C’est l’hôpital qui se moque de la charité ! C’est donc moi la responsable de notre « échec » ? Toujours aucune remise en question de sa part. Il me reproche aussi d’avoir choisi une famille d’accueil en région parisienne et non dans le Nord. Je suis une arriviste, une carriériste, je préfère être sur Paris car il y a davantage d’opportunités, et si je l’avais vraiment aimé, j’aurais choisi une famille dans le Nord. Il est vraiment pathétique de me balancer tout ce tas d’absurdités ! Heureusement que j’ai aussi mon tempérament, son attitude me met très en colère à mon tour. Et il ne supporte pas ça…

Tant pis pour lui, tant mieux pour moi.

Car sans vouloir me justifier, je n’avais pas à me justifier, si j’ai choisi cette famille d’accueil, c’est que c’était les enfants et leurs parents avec qui j’allais passer un an de ma vie qui m’avaient plus, tout simplement. Je me suis sentie en confiance avec eux par email et par téléphone, lorsque j’étais encore dans ma ville natale. Je ne vais quand même pas aller chez n’importe qui, j’ai un minimum de jugeote. D’ailleurs, mon petit frère se sera renseigné sur ma future famille d’accueil, car il s’inquiète pour moi.

Une fille de l’Est, on ne sait jamais sur qui elle peut tomber…

Au final, mon choix a été parfait. Une famille comme une autre, avec des hauts et des bas. Des enfants pas toujours faciles au quotidien, et des disputes plus ou moins violentes entre les époux, même s’ils font des efforts devant moi…

Et mon conquérant du Nord, toute l’énergie qu’il mettait avant à ne pas répondre à mes appels et mes sms, maintenant il la met, toute cette énergie, dans ses lettres et ses appels. On dirait que c’est devenu le défi numéro de sa vie. Un peu d’esprit de compétition tout de même, malgré la sincérité de ses sentiments que je prends comme tels aujourd’hui, à l’aube de mes 40 ans, en relisant le courrier. Lui en avait 30 ans à l’époque, et moi j’en avais 24

« Ou vous avez un rival, ou vous n’en avez pas. Si vous en avez un, il faut plaire pour lui être préféré ; si vous n’en avez pas, il faut plaire encore pour éviter d’en avoir » (« Les Liaisons dangereuses », Pierre Choderlos de Laclos)

Les soirs où je reste chez mon nouveau copain, il se couche souvent tôt la plupart du temps, c’est son rythme naturel et il tient à le préserver. Et moi je réfléchis, les écouteurs sur les oreilles en écoutant de la musique. Je rembobine le film de ma vie, en boucle. Les jours où je suis avec les petites puces dont je m’occupe, mes pensées vagabondent ailleurs. En Belgique, au Maroc, dans mon pays natal, dans le Nord. A cette période de ma vie, je ne suis jamais à l’endroit où je me trouve physiquement. Je ne vis pas à l’instant T, le passé et le futur s’entremêlent dans ma tête. Mais avec le temps qui passe, j’irai de mieux en mieux. Je commence à déposer des dossiers pour reprendre mes études. Mon copain propose de m’installer chez lui, six mois après notre rencontre, juste avant Noël.

Là ça va vite, je confirme.

Avant de m’installer définitivement chez lui, je résisterai à toutes les tentations. Ah ce type en roller qui me drague à chaque fois que je fais du jogging le matin ! Et cet autre qui me fait des clins d’œil lorsque je noie mes chagrins en faisant des longueurs à la piscine le soir. Je résisterai à toutes les tentations car j’ai confiance en l’avenir, je suis une optimiste et j’ai décidé d’accepter ce nouveau cadeau que la vie m’offre. Et je fais aussi confiance à mon nouveau copain, c’est quelqu’un de droit et d’honnête. J’apprécie de plus en plus les moments passés en sa présence, les week-ends dans son appartement de location à regarder des films loués chez Vidéo Futur, sa R5 sans clim ni aucun confort, nos balades aux bords de Marne (coucou les ragondins !) J’aime beaucoup cette ambiance de vacances semi-permanentes qu’il m’offre, même si lui-même a souvent l’air très préoccupé par son travail. C’est son premier travail et ça se passe moyennement bien. Mais lorsque nous sommes ensemble, c’est la belle vie.

Et je commence à m’attacher vraiment à lui.

A cette période, je perds toute trace de mon ex-fiancé marocain. Il m’arrive de m’inquiéter un peu pour lui, mais son téléphone n’est plus allumé ou alors il a changé de numéro de téléphone. Il ne répond pas à mes emails non plus. Je suppose qu’il ne va pas très bien après notre rupture, et je m’en veux. Non de l’avoir laissé tomber, cela n’allait plus très bien entre nous, et aucun de nous deux ne faisait plus d’efforts pour améliorer la situation. Mais je m’en veux quand même car je fonctionne comme ça. Je me sens responsable de lui, malgré tout… La dernière fois que je l’ai eu au téléphone, il m’a juste dit que son psy lui déconsaillait de rester en contact avec moi.

Le psy ?

J’apprendrai par la suite, que je suis devenue la cause de tous ces problèmes existentiels qu’il traînera avec lui pendant des années. Il me culpabilisera de l’avoir fait chuter, et pourtant je suis convaincue que le vrai problème était ailleurs, un très lourd traumatisme dans son enfance, il n’a jamais voulu l’avouer. Les gens se séparent tous les jours, ce n’est pas cela qui fait de nous quelqu’un de mauvais. Que les gens restent ensemble ou qu’ils se séparent, la meilleure solution est de dialoguer pour s’expliquer les choses. Tout peut être intellectualisé et rationalisé si on le verbalise. Combien d’heures chez des psys seraient économisées, si les gens se parlaient, tout simplement. J’ai peut-être réveillé ses anciens démons, mais non, je ne suis pas d’accord d’entrer dans ce rôle de coupable face à une victime qui n’assume pas son mal de vivre. C’est ce que je me disais pour me convaincre, mais en réalité je vivrai avec cette culpabilité pendant un long moment.

Pourquoi j’en parle ici ? A cette période-là, il est inimaginable pour moi de repartir avec le gars du Nord et laisser tomber mon nouveau copain. Je me dis que notre relation a déjà semé la pagaille et nous avons déjà fait du mal, donc je ne veux plus que cela se reproduise. Ce serait trop égoïste de ma part. C’est simple, point final. Décision rationnelle ? En partie. Car à part cela, je sais pertinemment que si je rechute, il passera vite à autre chose pour se refermer dans sa bulle et me négliger. Je ne veux pas souffrir à nouveau à cause de lui.

Chassez le naturel, il revient au galop.

Il m’écrira une dernière lettre dans laquelle il me demandera au mariage. Il l‘enverra chez mes parents. Elle y est restée probablement car je ne la retrouve pas dans le carton avec toutes les autres. Je le reverrai une ou deux fois, pour boire un verre et discuter. Il me suppliera presque de revenir avec lui, de l’accepter à nouveau dans ma vie. Je lui dirai « non » droit dans les yeux. « Tu as eu ta chance et je suis maintenant avec quelqu’un d’autre qui m’aime vraiment telle que je suis, sans préjugés et sans jugement. »

Je suis une fille de l’Est et j’ai ma dignité.

« Tu es arrivée avec un sourire, et moi qui ne souriais pas. Tu as semé l’amour, la joie et la profondeur dans mon sol où je ne pensais pas qu’il pourrait fleurir aussi vite des envies d’aimer et d’être aimé, des envies d’exister, des envies de renaissance comme un printemps si doux après un hiver sans lumière. » (avril 2003)

Quelle jeune femme n’aurait pas succombé ?

2 réflexions sur “Une fille de l’Est… 3ème partie

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