Je suis qui je suis… 2e partie

« Ne dites pas que ce garçon était fou
Il ne vivait pas comme les autres, c’est tout
Et pour quelles raisons étranges
Les gens qui n’sont pas comme nous, ça nous dérange »
(« Il jouait du piano debout », France Gall)

J’ai donc écrit un mot à la maîtresse de mon fils, suite aux plaintes répétitives de ce dernier. La maîtresse a mal pris (mal interprété ?) le petit mot. Et voilà le problème déplacé. On ne parle plus du mal-être du petit garçon, mais du mécontentement de la maîtresse. Il va falloir que je m’excuse…

OK je vais m’aplatir. J’ai l’habitude.

Car non seulement l’épanouissement de mon enfant dépend en partie d’elle, mais son avenir dépend d’elle également, dans une certaine mesure. Comme toutes les maîtresses, elle a beaucoup à dire dans cette « histoire », à cet instant de la vie de notre enfant. L’année prochaine ce sera une autre maîtresse, l’année d’après encore une autre, et ainsi de suite. Une histoire sans fin.

Et à chaque fois à nous, les parents, de prouver que c’est nous qui DEVONS avoir le dernier mot. Et non, il ne s’agit pas d’un rapport de force ni d’une lutte des pouvoirs. Il s’agit de la vie de notre enfant et de son bonheur actuel et futur. Car si un jour il décroche de sa scolarité, car ses besoins (intellectuels) et son fonctionnement (différent) ne sont pas pris en compte, ce sera nous, ses parents, qui deviendrons les seuls responsables (coupables ?) de cette situation. Les seuls pointés du doigt. Personne ne dira « C’est la maitresse en CE1 qui n’a pas voulu que… » ou « C’est sa mairesse en CM1 qui n’a pas accepté que… »

Non. Ce sera nous qui n’avons pas fait ce qu’il fallait faire.

Petite parenthèse : le risque de décrochage progressif, si la méthode et le programme ne sont pas ajustés, est très élevé. 30 % des garçons précoces décrochent définitivement lors de leur scolarité, entre 6 et 18 ans. Je connais personnellement des parents qui scolarisent leurs enfants à la maison car le système scolaire classique, ni publique ni privée, n’arrivait pas à prendre en charge leurs enfants dans de bonnes conditions (un petit coucou si vous me lisez). J’adore leur courage incroyable… C’est donc un combat de tous les jours. 30 % des garçons précoces décrochent, 30 % sont élèves moyens voir médiocres en se sur-adaptant au système et en renonçant à faire des efforts, et 30 % seulement réussissent. Fin de la parenthèse.

De quoi avoir raison de nous inquiéter.

Et une âme de rebelle comme notre fils, depuis tout petit, très sage à l’école, trop sage à mon goût, une sorte de dédoublement de la personnalité, cela craint vraiment…

Pour les filles précoces, les statistiques sont différentes car nous arrivons à nous sur-adapter. À l’école ET au boulot ET dans la société. Mais au fil du temps, nombreuses sont celles qui traînent ce décalage. Différentes, incomprises, hypersensibles, trop empathiques, trop absolues. Elles se croient inadaptées socialement, culpabilisant d’être ce qu’elles sont, se reprochant d’être trop authentiques dans leur intensité… Coupables d’être humaines tout simplement, pas « robotisées » selon les exigences du discours ambiant sur la productivité et la compétitivité.

Ça tire et ça tire et à un moment ça lâche…

Elles renoncent à leur carrière professionnelle et choisissent de se consacrer à ce qu’il y a de plus « sécurisant » pour elles : leur foyer, leur famille. Car oui, l’amour inconditionnel que les enfants portent à leur maman, telle qu’elle est, quoi de plus sécurisant ? Mais sachez qu’il existe des adultes qui peuvent vous apporter cette sécurité, à l’extérieur de votre foyer. Mais il faut savoir les « détecter » ou qu’ils vous « détectent ». Pour le faire, osez être vous-même au lieu de continuer à vous cacher ou à vous sur-adapter aux autres. Et vous verrez que vous n’êtes pas seule à être dans ce cas de figure et attirerez vers vous des personnes qui vous ressemblent, tout simplement…

« Et pour quelles raisons étranges
Les gens qui tiennent à leurs rêves, ça nous dérange »
(« Il jouait du piano debout », France Gall)

Un appel de la directrice de l’école me sort de mes pensées. Elle commence par me faire part du mécontentement de la maîtresse, pour finalement me proposer un rendez-vous. Super ! Le message est passé, c’est l’essentiel. Rendez-vous donc une semaine plus tard avec la directrice, la psychologue scolaire et la (jeune) maîtresse. Mon époux m’accompagnera bien sûr. Si l’atmosphère devenait tendue, il saura calmer le jeu. En fait, je ne sais pas du tout à quoi m’attendre. Je connais à peine la maîtresse et pas du tout la directrice. À part la remise du bulletin du 1er trimestre en décembre, où elle s’est engagée à proposer à notre fils des défis mathématiques complexes (promesse non tenue), nous n’avons jamais eu l’occasion de nous entretenir avec elle, malgré plusieurs tentatives « douces » de ma part.

Comme quoi…

L’heure de la réunion approche. J’ai imprimé la dernière directive du Ministère de l’éducation nationale sur l’accompagnement des enfants précoces. Même si je n’ai pas besoin de support papier, j’ai tout en tête. Le fonctionnement d’un haut potentiel : sa curiosité, son besoin de challenge, sa soif d’apprendre, sa réflexion non linéaire, sa sensibilité exacerbée. Mon discours est tout prêt.

A quoi bon être identifié haut potentiel par des tests psychologiques spécialisés, si l’école l’oblige à se sur-adapter en renonçant à ses capacités ? A quoi bon, si c’est pour rentrer dans le moule et oublier ce qui le différencie des autres ? Lui dire de ralentir, de ne pas aller trop vite ? Autant lui dire d’arrêter de respirer. Et puis, sa différence ne consiste pas uniquement en rapidité de compréhension ou d’exécution. Sa différence, c’est bien plus que cela. Devoir s’adapter en permanence signifie se faire violence. Faire violence à son cerveau et à son corps aussi, car une grande partie des garçons précoces sont (limite) hyperactifs, et rester assis toute la journée constitue pour eux une vraie épreuve. Double peine.

« Jouait du piano debout
Il chantait sur des rythmes fous
Et pour moi ça veut dire beaucoup
Ça veut dire essaie de vivre
Essaie d’être heureux, ça vaut le coup »
(« Il jouait du piano debout », France Gall)

Et moi je veux juste que mon enfant soit épanoui et heureux dans ce qu’il est. Qu’il se développe avec tout son potentiel. Qu’il puisse s’affirmer dans sa différence et qu’il soit accepté avec ses points forts et ses faiblesses… Le faire rentrer dans le moule, c’est lui enlever cette part de lui-même qui fait sa richesse, sa singularité, son humanité. C’est lui faire enlever ce qui fait les grands de ce monde. Lui enlever son sens de la justice très développé, sa compréhension intuitive du monde, son audace de dire ce qu’il pense en te regardant droit dans les yeux (non sans offenser certains…)

Non. Je m’oppose fortement à cela !

À l’attaque ! Je suis confiante et je me battrai pour l’épanouissement de mon enfant. Il est différent et je veux que sa différence soit reconnue, entendue et prise en compte.

Deux jours avant la réunion avec le corps pédagogique, un échange avec le prof de batterie. Mon fils ne fait plus de progrès, pire, il a régressé. J’explique au prof qu’il a besoin de complexité et de challenge. Le fait de lui faire répéter le même morceau depuis deux mois est, à mon humble avis, contreproductif, il décroche au bout d’une minute. Je l’ai bien observé car je participe aux dix dernières minutes de son cours chaque mercredi. J’ai remarqué qu’il perdait tout l’intérêt, toute la concentration et sa motivation à force de répéter la même chose en boucle. Et pourtant, pendant plusieurs mois, cela s’est très bien passé, cet instrument est fait pour lui et il est fait pour cet instrument.

Le prof, plus âgé que moi, très expérimenté dans son métier de musicien (il a joué avec Johnny !) : « Madame, cela fait vingt ans que je suis prof de batterie, et pour bien pratiquer un instrument, c’est comme dans les maths, il faut avoir de bonnes bases… » Ah beh voilà, on y est, encore les maths. C’est exactement le même problème qu’en maths, deux fois deux ne l’intéresse pas, c’est trop simple.

Décrochage.

« Oui, monsieur, je vous comprends, et avec tout le respect que je vous dois, je pense que c’est trop simple pour lui. » De plus, votre élève n’a que sept ans et demi, et comme tout enfant de son âge il a besoin que l’apprentissage soit ludique donc varié. Le prof fait une moue significative. Je suis mal à l’aise. Notre échange restera dans ma tête pendant une semaine… Si même le milieu artistique n’arrive pas à comprendre notre enfant, si même l’univers de la musique peine à lui ouvrir sa porte, que deviendra-il ?

« Il jouait du piano debout
C’est peut-être un détail pour vous
Mais pour moi, ça veut dire beaucoup
Ça veut dire qu’il était libre
Heureux d’être là malgré tout
Jouait du piano debout
Quand les trouillards sont à genoux
Et les soldats au garde à vous
Simplement sur ses deux pieds
Il voulait être lui, vous comprenez »
(« Il jouait du piano debout », France Gall)

Quel avenir allons-nous pouvoir lui offrir ? Est-ce que les seuls capables de comprendre notre enfant, de lui proposer du ludique et du challenge, d’occuper son cerveau à la hauteur de son potentiel, sont les producteurs de jeux-vidéos ? Je ne supporte pas cette idée.

La réunion avec le corps pédagogique va commencer. Je retrousse les manches, je vais me battre pour mon enfant.

Allez, courage, on y va…