La fille, c’est pour quand ?

« Alors cette fille, vous la faites ou pas ? » mon père me pose cette question à chaque fois que je retourne dans mon pays natal. Il me la pose à chaque fois que je l’appelle. Je l’appelle rarement.

Je souris. Je lui réponds en rigolant que je n’arrête pas de prier pour en avoir une. Que je prie Dieu, que je prie Allah, que je prie Bouddha, même Zeus. Ce n’est pas cela qui le découragera de me la reposer à chaque fois qu’il me verra ou aura au bout du fil. Même lorsque j’aurai 60 ans, s’il est encore en vie…

***

J’ai un peu plus de quatre ans, je rentre à la maison avec ma mamie qui est venue me récupérer à la maternelle. Ma maman est à la maison. Seule.

« Maman, où est mon petit frère ? »
– « Il est à l’hôpital… »
« À l’hôpital ? C’est une blague maman ?
– « Non, il est à l’hôpital pour de vrai ».

Je me souviens bien de cet échange. Mon petit frère avait un peu plus d’un an et commençait à marcher. Il a attrapé un verre rempli d’eau bouillante pour tisane, l’espace d’une seconde d’inattention de notre maman, le contenu du verre s’est renversé sur son visage et sa poitrine. Notre maman a aussitôt mis son visage sous l’eau tiède du robinet. Lorsqu’elle a enlevé son t-shirt trempé, l’épiderme est parti avec… À l’époque j’ai certainement pensé dans ma petite tête que c’était de sa faute à elle.

Brûlure de je ne sais de quel degré, en tout cas il a passé deux ou trois semaines à l’hôpital. Je ne connais pas les détails. Je me souviens en revanche que lorsque nous sommes allés lui rendre visite, un jour, à l’époque où les parents n’avaient pas le droit de rester à l’hôpital avec les enfants, nous lui avons juste fait coucou à travers une vitre. Il pleurait beaucoup…  

Horrible.

Horrible la brûlure. Horrible de laisser un bébé d’un an tout seul à l’hôpital. Il en a gardé une grande cicatrice sur la poitrine. Heureusement rien sur le visage. Mais quoi dans le cœur ?

Après, lorsqu’il grandissait, il a souvent eu de petits accidents, plus ou moins graves. Ma grande sœur et moi, pas grand-chose. J’ai assez vite compris que les garçons avaient plus de « chances » (de risques) de se faire mal car ils bougeaient davantage que les filles. Et la vie me l’a confirmé…

Les chiffres des urgences le confirment. Chutes sur la tête, chutes d’un escalier, chute sur le carrelage mouillé de la salle de bain, brûlures de mains (avec les anciens fours dont les portes étaient bien chaudes à la différence des fours modernes), chutes en vélo, trottinettes, skates… Et les accidents domestiques sont la première cause de décès chez les petits enfants entre 0 et 6 ans.

Jamais assez de prudence.

***

« Et meeeeeerde !!!! » Mon cadet vient de tomber sur la tête, du canapé directement sur le carrelage. Combien de fois ai-je répété à tous les deux, lui et son grand frère, d’arrêter de sauter sur le canapé lorsqu’ils regardent la télé. Je leur prépare à manger, je les regarde, tout va bien, et dix secondes plus tard le petit fait une galipette sur le canapé et tombe vers l’arrière sur le sol.

« Mais vouuuuuus faiiiiiites vraiéééément chieeeeeeer tous les deux ! » Tout le voisinage a dû m’entendre.

Je hurle tout en cherchant des glaçons dans le congélateur pour les appliquer vite sur la tête du petit qui pleure car il a mal, mais aussi car il n’aime pas quand je lui hurle comme ça. Je n’arrive jamais à garder mon calme lorsqu’ils se font mal de cette manière. Je vérifie s’il peut bouger son cou, s’il peut marcher, je contrôle le mouvement de ses yeux. Cette fois-ci cela n’a pas l’air si grave que ça finalement, mais l’émotion est toujours aussi forte chez moi à ces moments-là. Récemment j’ai fait une formation de « premiers secours bébé-enfants », mais cela n’a rien changé à ma tendance à vite paniquer, je n’arrive pas à garder mon sang froid.

Depuis que je me souviens, j’ai toujours rêvé d’être maman. Depuis que j’étais petite fille. J’aimais jouer aux poupées. J’ai été aux anges quand mon petit frère est né. J’avais un peu plus de trois ans. Aucune jalousie de ma part vis-à-vis de ce petit frère qui, lui, recevait énormément d’attention de la part de notre maman. Un garçon après deux filles. Je l’adorais. Je voulais le protéger. Encore plus lorsqu’il s’est retrouvé à l’hôpital à l’âge d’un an… Et à d’autres occasions.

Pour revenir à mon père, trêve de rigolade. Il ne sait pas que je me suis fait ligaturer les trompes s’il y a plus d’un an déjà. Ou il ne veut pas le savoir.

« Alors cette fille ? »

Oui, avant d’avoir mes deux garçons, je voulais avoir des filles. Pour ne pas devoir assister aux sauts périlleux, aux luttes de chevaliers et aux chutes sans parachute. Pour ne pas devoir faire l’infirmière auprès de cette petite troupe joyeuse. Je n’ai toujours pas réussi à me débarrasser de cette anxiété qui m’accompagne tous les jours en pensant à mes enfants qui sont plein de vie et d’idées. Autant d’occasions de se faire mal.

Avant, je voulais avoir des filles.

Non pour pouvoir leur mettre de jolies robes ou leur faire des queues de cheval ou tresses. Je voulais avoir des filles, car les garçons sont des casse-cous, et comme je ne sais pas réagir, je me disais qu’avoir une fille m’épargnerait ce type de situations. Ok, les mamans de filles diront que les filles sont aussi dynamiques. Certaines oui. Mais statistiquement ce sont surtout les garçons qui se retrouvent aux urgences avec des bras cassés ou la tête ouverte…

J’ai deux garçons et c’est vraiment stressant pour moi au quotidien. Le grand, très physique, à l’âge de deux ans montait sur des jeux pour les six ans… Le petit, plus maladroit dans sa motricité, a toujours voulu tout faire comme son grand frère. Imaginez le résultat ! Déjà en marchant il tombe souvent (il porte des lunettes et des semelles orthopédiques), alors quand il s’y met à vouloir tout faire comme son grand frère, alors je préfère ne pas voir.

Il n’y aura pas de fille.

Eh oui, nos deux petits garçons sont dynamiques, vifs, débordants d’énergie, pleins de vitalité, affirmés, sûrs d’eux, autonomes… et très demandeurs d’attention. Plus de place, ni de temps, ni d’énergie pour un 3e enfant. Et ce qui compte vraiment, c’est qu’ils sont en bonne santé et je ne peux que m’en réjouir.

Aujourd’hui je ne m’imagine même plus maman d’une petite fille. Finalement j’ai beaucoup de chance d’avoir des garçons, lorsque je vois à quel point peuvent être compliquées les relations entre mère et fille dans certaines familles…

Parfois quand je leur crie dessus, je me dis que dans la vie ils vont rencontrer différents types de personnes, et certaines vont peut-être leur crier dessus, et que grâce à moi ils seront aguerris 😊 Aucune mère n’est parfaite et il certain que je n’élève pas de futurs princes charmants. Quoique, au fond, je sais que c’est vraiment light comme analyse et réponse à mes angoisses incontrôlables et à ma manière de les exprimer par le cri.

Au fond, il y a forcément un traumatisme non soigné, peut-être cet accident de mon petit frère…

Mais rassurez-vous, je leur apprends aussi les bonnes manières, le partage, la générosité, la dignité, le courage, le sens de la justice, la responsabilité… Et s’ils ne seront pas princes charmants, ils ne seront pas guerriers sauvages non plus.

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