Pour toi je ne cesserai jamais de marcher

Nous sommes quelques mois après notre mariage. J’ai toujours voulu avoir des enfants, depuis que j’étais petite fille. J’en parle à mon mari. Il est d’accord. Il me suit toujours dans tous les projets de vie, surtout un projet si agréable…

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Je suis le moteur, ma tête fourmille toujours d’idées ; lui c’est la locomotive avec sa force tranquille, sa zen attitude, son soutien pour m‘aider à faire avancer les projets et réaliser les rêves.

On se lance. Réglée comme une horloge depuis l’âge de douze ans, je suis persuadée que je tomberai enceinte très vite. Un mois, deux mois, six mois, un an. Rien. Je ne pense qu’à cela. Être enceinte et avoir un bébé. Je dépense une fortune dans des tests d’ovulation et de grossesse. Pour rien. De toute façon je connais bien mon organisme, je sais quand j’ovule. Ma libido monte toujours à cette période là et j’ai d’autres symptômes physiologiques. Pas besoin de tests d’ovulation. Mais je les achète quand même.

Quelle position n’avons-nous pas testée ? Apparemment en mettant les jambes vers le haut contre un mur, juste après le rapport, on optimise les chances de concevoir un bébé. Hahaha. Je n’y crois pas du tout, mais je le fais quand même, on ne sait jamais ! Une femme qui veut avoir un bébé est prête à tout.

Au bout d’un an d’essais infructueux, je contacte un gynécologue spécialisé dans les protocoles de PMA. C’est une star de la PMA célèbre pour son efficacité. A l’autre bout de Paris, honteusement cher. N’importe. Il n’y a que le but qui compte. Devenir maman. Le gynéco n’est pas très bavard, il n’explique pas bien les choses, mais je suis bien informée, j’ai beaucoup lu à ce sujet. Avec lui les choses vont vite, d’après les témoignages que j’ai pu lire. Et cela nous arrange. Pas évident de se libérer du travail, tous les deux, pour tous ces rendez-vous et réunions d’information.

Nous faisons donc tous les bilans médicaux exigés. Mon mari et moi. A priori tout va bien, pas d’anomalies apparentes. Mon entourage me dit que c’est un blocage psychologique chez moi.

Lâchez-moi les baskets ! Je n’ai pas de problèmes psychologiques moi !
Je veux juste avoir un bébé !

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Personne ne trouve de mots réconfortants pour moi. En revanche mon mari entend souvent « Ce n’est pas de ta faute ». Eh oui ! Un homme qui serait stérile ne serait pas viril, selon certains, il faut donc le rassurer. C’est la femme donc la responsable !? La coupable !? Elle n’a pas besoin de soutien ?

Dans les médias, on en parle de plus en plus, du problème de l’infertilité des couples. Pesticides, air pollué, âge de plus en plus tardif de la première grossesse, mauvaise hygiène de vie… Mais cela reste toujours un sujet tabou dans le cercle familial et amical. Les voix baisses. Les regards se détournent. Cela touche à ce qu’il y a de plus intime pour un couple, pour une femme, qui tente désespérément d’avoir un enfant.

Si vous passez par ce parcours de combattant en ce moment, et que vous lisiez ce texte, je me lie avec vous dans votre souffrance, car oui c’est une vraie souffrance. C’est aussi le premier sacrifice, sur le chemin de la maternité, que nous faisons de notre corps en subissant les actes médicaux divers et variés. Nous apprenons à rester insensibles au toucher des parties intimes. A nous détacher de ce corps pour ne pas le vivre comme une invasion.

Ce n’est plus un acte d’amour. C’est une vraie preuve d’amour de passer par là ensemble.

Heureusement que nous sommes un couple soudé pour traverser cette épreuve. Tous les couples qui sont passés par là savent ce que c’est. Les examens qui s’enchaînent. Les protocoles d’insémination artificielle. La course entre le travail, le labo, le médecin. Les piqûres d’hormones dans le ventre que je m’injecte toute seule. Les prises de sang qui deviennent mon quotidien…

Je me réveille la nuit, j’ai mal dans la poitrine, des difficultés à respirer. Les effets secondaires des hormones, je fais une sur-stimulation hormonale. Le gynécologue n’estime pas qu’il faille arrêter le protocole, on continue malgré tous les désagréments physiques que j’éprouve. Psychologiquement ça va, je suis contente d’agir et très optimiste quant au résultat positif de nos efforts. On avance.

J’avance.

Une bonne copine m’annonce sa grossesse. Pas grave. Je me réjouis pour elle…
Mon tour viendra forcément. Patience.

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Ça y est ! Enfin ! Nous allons être parents ! Je suis enceinte. La prise de sang le confirme. L’euphorie ! Le bonheur ! Mon rêve d’avoir un bébé va enfin se réaliser.

« J’étais à peu près
Je suis exactement la femme que j’espérais
Le cœur enfin vivant pour toi
J’ai soulevé un amour de géant
J’ai fait ma guerre, marqué la terre
Je me suis battue
En ton nom, j’ai crié sur les toits ma venue
Ma raison d’exister, je t’aurai voulu
Depuis tellement d’années
Que le temps vienne
Je serai tienne »
(Jenifer, « Ma révolution »)

Nous avons « de la chance » ! La troisième insémination a fonctionné, pas besoin de faire une FIV qui est un protocole encore plus lourd et plus invasif physiquement et psychologiquement. J’ai un peu mal au ventre et je me sens fatiguée, mais l’enthousiasme lié à la grossesse tant attendue me donne des ailes et une énergie toute nouvelle. Mes rêves vont se réaliser, je serai maman à mon tour.

C’est si simple et pourtant tellement incroyable !

Quelques jours après la prise de sang qui a confirmé la grossesse, nous retournons chez le gynécologue pour une échographie. Il m’examine. Il ne dit rien. Il n’a pas vraiment l’air de partager mon enthousiasme. Je suis un peu déçue, mais vite je me reprends. Pour une star parmi les spécialistes de l’infertilité, il est complètement normal qu’il garde ses distances, malgré sa réussite. Notre réussite. Je ne suis qu’un cas médical parmi d’autres. Après l‘échographie, je passe dans la pièce à côté, chez l’infirmier, pour effectuer une nouvelle prise de sang. Il remplit dix ampoules. Nous rentrons à la maison.

Il est quand même bizarre ce médecin, tellement dans sa bulle, silencieux…
Et cette grande quantité de sang que l’infirmier m’a pris ?

Nous profitons de l’après-midi pour nous balader. Je commence à faire des projets pour le bébé. Je chante. J’ai envie de danser dans la rue. J’adore danser quand je suis heureuse. Mon bébé sera danseur (ou danseuse)…

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Le soir-même un appel. Je décroche. Un chirurgien, un pair de mon gynécologue. Il me dit de venir le lendemain tôt à la clinique pour une cœlioscopie. J’ai une suspicion de grossesse extra-utérine. J’éclate en sanglots. Je n’écoute plus. Je passe le téléphone à mon mari pour courir dans la chambre et me jeter sur le lit. C’est lui qui calera les détails avec le chirurgien pour mon opération.

Je pleure. Je n’arrive pas à me calmer. Lorsque mon mari vient dans la chambre pour préparer les affaires pour la clinique, je suis une furie.

Barre-toi ! Je ne veux pas te voir !

Forcément cela allait tomber sur lui, je n’ai que lui sous la main pour me défouler. J’ai la rage. En colère contre le gynécologue qui ne m’a rien dit le matin ni appelée pour me prévenir personnellement. En colère contre le monde entier. Contre tous ceux qui fument, qui mangent n’importe quoi, qui boivent de l’alcool, qui se droguent et qui arrivent malgré tout à faire des bébés. Et moi qui ai une bonne hygiène de vie, jamais d’excès, tout comme mon mari, voilà ce qui nous arrive. Et finalement même lui ne peut pas vraiment comprendre ce que j’éprouve… Je suis anéantie.

« Ce n’est ni le spleen, ni le marasme, ni le malheur. C’est quelque chose de plus âcre. C’est le désespoir. » (François Hertel)

Nous nous présentons à la clinique dès l’aube. Si j’ai bien compris, il ne faut surtout pas attendre plus longtemps car le risque d’hémorragie est trop élevé. Et une hémorragie veut dire obligation d’enlever la trompe, parfois même l’utérus… Dire que hier matin encore j’étais tellement heureuse, et maintenant sur une table opératoire. L’imminence de l’intervention sous anesthésie générale amplifie mon stress. Je n’ai jamais été opérée dans ma vie auparavant. Mes yeux se ferment.

Je ne serai peut-être jamais maman…

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Lorsque je me réveille, j’envoie des textos aux personnes qui étaient au courant de ma grossesse, les plus proches. La veille j’ai appelé seulement ma maman, lorsque j’étais un peu calmée. Elle a pleuré avec moi. J’éteins le téléphone. Rester tranquille. Ne pas me laisser envahir par les émotions. Réfléchir. Il n’y a que la philosophie qui permette de survivre intérieurement dans de telles circonstances (ou la religion, à vous de choisir).

Je pense à cette collègue qui a dû avorter au cinquième mois de sa grossesse car son bébé s’était mal développé. A cette autre femme, que j’ai croisée dans ma vie, qui avait appris au huitième mois de la grossesse que son bébé n’était pas viable et qu’il mourrait à la naissance. J’arrive à relativiser ma situation. Comme toujours quand je vais mal… Je ne suis pas très à plaindre au vu des problèmes des autres.

Allez, on se relève, on refera une nouvelle tentative.

Le chirurgien a réussi à reconstruire la trompe et il n’y a pas d’autres dégâts. C’est rare de diagnostiquer une grossesse extra-utérine aussi tôt, mais comme je suis suivie par l’un des meilleurs, il a eu une bonne intuition. Il m’a évité le pire, la rupture de la trompe et peut-être aussi une stérilité définitive. Nous sommes vivants et en bonne santé. Au pire, nous adopterons un enfant, nous avons assez d’amour à donner.

“Même sans espoir, la lutte est encore un espoir.” (Romain Rolland)

J’ai été opérée en ambulatoire. Nous rentrons à la maison le soir. Mon mari se tait dans la voiture. Il sait qu’il ne faut pas me parler lorsque je souffre. Le vide. Le silence.

Je repense au silence du médecin il y a deux jours. Il a dit une seule phrase lors de l’échographie : « Où est l’autre ? »

Je m’accroche à cette phrase. Elle commence à résonner dans ma tête. Je n’ai pas rêvé, il l’a dit. Pourquoi il l’a dit ? Ça me revient ! Lors de l’insémination, il y avait deux gros ovules, un de chaque côté…

Où est l’autre ?!

Je refais une prise de sang deux jours plus tard afin de vérifier que le taux d’hormone de grossesse est retombé à zéro. Cela permettra au chirurgien d’être sûr qu’il a tout enlevé.

Le taux a augmenté…

Je l’appelle. J’aime bien ce chirurgien. Il a su se montrer compatissant et empathique avant et après mon intervention. Je lui lis le résultat de la prise de sang par téléphone. Un instant de silence.

– « Je suis sûr à 100 % d’avoir tout enlevé de votre trompe et dans l’autre trompe il n’y avait rien, j’ai vérifié. »
– Quoi alors, docteur ?

– « Félicitations ! Vous allez être maman !!! ».

Il est là, l’autre !

Il est dans mon utérus, mais trop petit au moment de l’échographie pour que le gynécologue puisse le voir. En revanche le taux d’hormones était bizarrement anormal pour une grossesse classique, d’où son diagnostic de grossesse extra-utérine.

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Ça passe ou ça casse. Je passerai un mois à la maison en arrêt maladie, par peur de faire une fausse couche. Je lirai des articles trouvés sur l’Internet sur les grossesses hétérotopiques. Très rares et jamais naturelles, elles peuvent être le résultat d’une hyperstimulation hormonale. J’ai peur que l’anesthésie et les anti-inflammatoires que j’ai pris aient pu avoir un effet négatif sur cette petite vie qui se développe en moi. Sur mon enfant que j’aime déjà tant et qui est déjà devenu la priorité numéro un de ma vie.

Et toutes ces émotions négatives que j’ai éprouvées depuis quatre jours, quel effet auront-elles sur lui ?

***

Notre fils aîné a sept ans aujourd’hui.

Nous ne marchons pas à côté de lui. Nous le suivons dans sa course effrénée vers le bonheur. Selon le rythme qu’il nous impose depuis son premier souffle, depuis le jour de sa conception…

Notre petit champion. Une force vitale hors du commun. Une énergie extraordinaire. Une vraie âme de leader. Un aventurier. Ouvert et généreux. Authentique et spontané. Libre.

« Ma révolution
Porte ton nom
Ma révolution
N’a qu’une seule façon
De tourner le monde
De le changer
Pour toi, je ne cesserai jamais de marcher
Ma révolution
Porte ton nom »
(Jenifer, « Ma révolution »)

Avec toi chaque jour est une inconnue.
Avec toi tout est possible.

Joyeux anniversaire notre grand !
Nous t’aimons très fort.
Maman & Papa

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***

Je suis pleine d’admiration et de reconnaissance pour les scientifiques et les médecins grâce à qui cela est devenu possible, pour nous et pour tous les autres couples. Chapeau mesdames et messieurs !

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