Hé ! Mademoiselle !

« Ma mère m’a élevé pour être un féministe. Mon frère et moi, elle nous mettait en garde contre cette culture qui peut décrire les femmes comme des objets. » (Joseph Gordon-Levitt)

Je ne suis pas agoraphobe, mais parfois j’en ai vraiment marre, ras-le-bol, ras-le-cul. A peine rentrée des vacances et je me fais déjà accoster dans la rue par un gros connard. Je n’aime pas la vulgarité, mais face à la vulgarité je peux devenir très grossière…

Ce n’est pas que j’ai mis ma plus belle robe fleurie avec un grand décolleté, elle est déjà rangée dans le placard et attend l’été prochain. Ce n’est pas parce que j’ai mis des talons aiguilles, ceux-ci attendent les grandes occasions, mariages et autres anniversaires. Ce n’est pas parce que j’ai passé une heure devant le miroir pour me coiffer et maquiller. Pour aller faire quelques petites courses, une poudre légère et un crayon à yeux.

Rien de plus simple…

Et pourtant. À peine sortie de chez moi, d’abord les gars du chantier du Grand Métro qui s’arrêtent de bosser lorsque je passe pour me mater. Heureusement qu’ils ne disent rien, ils doivent être au courant de la nouvelle loi sortie il y a à peine un an, il vaut mieux tard que jamais. En revanche les cassos qui fument leur clope et boivent leur bière devant le market auquel j’accède à pied pour faire mes petites courses, ceux-là ne risquent pas de perdre leur boulot si je les dénonçais.

Puisqu’ils n’ont pas de boulot…

Même lorsque j’étais enceinte, il arrivait régulièrement qu’on m’embête dans la rue. De dos, cela ne se voyait pas que j’étais enceinte. Et même si j’avais une gueule de sorcière, apparemment cela n’aurait posé aucun problème à ces types qui m’interpellent ou sifflent en me voyant juste de dos. N’importe les traits du visage de la femme, n’importe ses yeux, n’importe le timbre de sa voix et ce qu’elle a à dire ni sa personnalité. Le fait seul de voir une femme de dos leur suffit pour baver…

Et pendant qu’on y est, même les chiens s’y mettent !

Je vous assure, cela m’est déjà arrivé de me faire agresser sexuellement par un chien dans la rue, et son maître ne réagissait pas !

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https://youtu.be/_a1USD2-WyU

C’est quoi mon problème, vous allez me demander ? Quelle femme n’aime pas se sentir belle et plaire ?

Eh bien plaire oui, mais pas à n’importe qui.

Me sentir belle ? Ce n’est pas dans le regard des gars qui n’ont aucune classe, aucune élégance relationnelle, et qui ne savent pas respecter une femme que j’ai envie de me sentir belle. Bien au contraire ! Plaire à un parfait inconnu dans la rue, plus est qui a les yeux tout rouges à force de se bourrer la gueule ou de se droguer, non merci. Je me demande plutôt où j’ai pêché pour attirer l’attention des types du genre. Je fais attention à ne pas m’habiller de manière vulgaire ou provocante, et pourtant… Je trouve cela vraiment humiliant.

Est-ce le prix à payer d’être une grande blonde ?
Ou est-ce le prix à payer d’être une fille de l’Est ?
Ou est-ce le prix à payer d’être une femme ?

Septembre 2017. Je commence ma période de chômage. Je vais chercher les enfants à l’école, à pied comme tous les jours. Je sens ma colonne vertébrale se ratatiner à chacun de mes pas, comme si elle n’arrivait plus à rester droite, comme si elle s’effritait sous le poids de mon corps. Je suis fatiguée. Je me félicite d’avoir la force d’aller les chercher et de m’en occuper le soir jusqu’au retour de leur papa. Je marche. Chacun de mes pas me coûte beaucoup d’énergie. Je dois passer à côté d’un bar et d’un grand carrefour où le trafic est danse, mon stress monte…

« Bonjour mademoiselle, t’es vraiment mignonne ! »

J’entends la voix d’un homme crier en ma direction. Je ne réponds pas, je détourne mon regard, j’accélère.

« Putain, arrête de faire la gueule et dis au moins merci ! »

Je sors mon téléphone du sac, j’appelle mon mari. Je ne me sens pas bien, j’ai besoin d’en parler à quelqu’un. Il ne décroche pas.

Je sens sur mon corps leurs regards. Je me raidis encore plus. J’aimerais disparaître. Sortir de ce corps. M’envoler bien loin. Je m’accroche. Je continue à marcher. J’essaie de ne pas faire attention. Je me sens comme une proie. Je suis une proie. Je me sens en danger. Le goûter des enfants pèse une tonne dans le sac que je porte…

Comment est-ce que j’en suis arrivée là ?
Et comment ça se soigne ?

Plusieurs mois plus tard. J’ai repris les études. Je prends du temps pour moi. Je lis, j’écoute de la musique, je marche, je fais du yoga, je ris… Je vais mieux. Un mercredi soir, j’emmène mes enfants à la piscine. Nous marchons tous les trois, une voiture s’arrête, la vitre se baisse, une tête d’homme apparaît, j’entends un bonjour bien fort.

Instinctivement je me retourne, je m’apprête à lui hurler dessus… Montrer à mes enfants qu’une femme sait se faire respecter et se défendre… »

« Ah bonjour docteur ! vous allez bien ? »

C’est le podologue de mon fils cadet, un gars vraiment sympa, sérieux, marié, deux enfants. Ils ont d’ailleurs été nos voisins pendant plusieurs années, avant notre déménagement dans un autre quartier de la ville. Quelle drôle de situation. Je rigole. Mes enfants rient aussi. Heureusement que je ne l’ai pas insulté. J’ai un fou rire encore en y repensant…

J’espère que mes deux garçons sauront respecter les femmes. Leur papa n’est pas du tout un macho, un excellent modèle pour eux. Et moi je leur montre tous les jours qu’une femme est un être humain comme un autre, et non un objet sexuel ni un être passif, soumis au bon vouloir de la gente masculine. Une femme a le droit de se sentir libre et en sécurité chez elle et dans les lieux publics.

Nous ne vivons pas dans une jungle…

Chers messieurs, si nous mettons une robe légère et des sandales, ce n’est pas pour vous draguer ou nous faire accoster dans la rue. C’est seulement parce qu’il fait 35 degrés à l’ombre, c’est juste pour nous sentir bien, pour plaire à notre mari ou notre copain, et pour que nos enfants disent que leur maman est belle… Vous vous attendez à quoi ? Qu’une femme classe, accostée de manière vulgaire dans la rue, s’intéresse à vous ?

Chères dames, si dans votre entourage proche il y a des machos qui harcèlent les femmes dans la rue – votre cousin, frère, collègue, fils, oncle ou amant – dites-leur que ce qu’ils font est un délit. Et demandez-leur si cela les amuserait que cela arrive à leur femme, sœur, fille, mère, amie…

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Selon les sources officielles 25 % des femmes estiment avoir subi une violence dans l’espace public au cours de l’année écoulée. Ce sont les femmes des grandes villes qui sont les plus touchées, en particulier en Île-de-France. Depuis la loi Schiappa entrée en vigueur en juillet 2018, un délit d’outrage sexiste ou sexuel a été défini comme « tout propos ou comportement à connotation sexuelle ou sexiste qui soit porte atteinte à la dignité d’une personne en raison de son caractère dégradant ou humiliant, soit crée à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante ». Le harcèlement de rue est passible d’amende de catégorie 4, allant de 90 euros en paiement immédiat à 750 euros, et même de catégorie 5 (jusqu’à 3 000 euros) en cas de récidive ou de circonstances aggravantes, par exemple lorsque l’outrage est commis en réunion, sur des personnes vulnérables ou dans les transports en commun.