« Qui ne risque rien, risque tout »

« Je me bouche les oreilles comme un enfant
Quand ce que tu dis ne veut rien dire
Je fais bla bla bla
Je baisse le son quand tu parles
Parce-que si mon cœur ne suffit pas à l’arrêter
Je trouve un moyen de te faire taire
Je fais
Bla bla, bla bla bla… »(Naughty Boy & SamSmith, « La la la… »)
Il y a quinze jours j’ai revu le film « Everything everything » qui passait à la télé. Je l’avais déjà vu il y a 2 ou 3 ans et je m’en souvenais très bien. Et dans le contexte du déconfinement ce film a pris un sens tout nouveau pour moi, face à tous les discours sur les risques exagérés pris par les uns et la panique démesurée des autres. D’une part j’étais cette mère qui voulait à tout prix protéger son enfant du monde extérieur, de ses dangers, et en même temps j’étais cette jeune fille, à peine majeure, qui voulait juste profiter de la vie, aimer et être aimée, ne serait-ce qu’une seule fois et au prix de sa propre vie…
Ouff. Une longue phrase. Je devrais la refaire…
L’avez-vous vu ce film ? Pour moi c’est un vrai chef-d’œuvre. Les images, la musique, la mise en scène, la beauté des jeunes acteurs, leurs échanges de regards amoureux sans la possibilité de se toucher. Elle et lui. Ils ont dix-huit ans, mais ils ont déjà été éprouvés par la vie. Elle, malade depuis toute petite, obligée de rester dans sa maison aseptisée, sans jamais sortir dehors, sans jamais recevoir de monde chez elle. Lui avec son père violent…
Ils n’avaient rien lorsqu’ils se rencontraient pour la première fois. Premier regard à travers une vitre. Premier échange de textos. Première rencontre physique, certes interdite et dangereuse pour sa santé à elle, mais tellement délicieuse. On oublie le danger face à l’état amoureux. On oublie le monde entier. On oublie tout. Ce qui compte c’est le moment présent.
Ici et maintenant.
N’importe le passé.
N’importe l’avenir.

On prend le risque.
On sort de sa bulle.
On sort de sa zone de confort.
De sa cage en or.
Pour l’amour.
L’amour.
C’est tout.
Et tout est dans l’amour. « Everything, everything…«
Mais c’est quoi aimer ?
Parfois aimer, c’est laisser partir. Parfois laisser partir est la plus grande preuve d’amour. Et c’est d’autant plus vrai, lorsqu’on pense à cet amour maternel. Une mère surprotectrice ne laisse pas son enfant devenir autonome. Elle ne l’aide pas à s’émanciper, à couper le cordon ombilical. Elle l’aime, certes, mais ne l’aide pas à grandir. Comme cette pauvre femme qui a perdu son mari et son fils dans un accident de voiture. Elle a décidé d’enfermer sa fille, le seul être aimé qui lui restait, dans une maison inaccessible, dans une forteresse, en la convaincant qu’elle était malade et que tout contact avec le monde extérieur la tuerait…
De quel droit ?
Dans la vie, il faut prendre des risques. Et il faut faire confiance à ses enfants et les laisser en prendre à leur tour. Je ne parle pas de sauts en parachute ou de courses de motos. Je parle de risque à prendre pour vivre pleinement : suivre son propre chemin…
Oh combien de fois je me suis bouché les oreilles lorsque mon père me parlait ?!
Et mes enfants feront de même à leur tour…

Lorsque j’ai terminé la fac à l’âge de 23 ans, le diplôme en poche, je suis rentrée chez mes parents et ma maman m’a lancé « Alors tu fais le doctorat maintenant !? » Elle savait pertinemment que mon projet étaient de rejoindre mon copain marocain en Belgique. Je l’ai regardée. Je n’ai rien dit malgré le mélange d’émotions qui m’envahissaient. Je m’attendais à ce qu’elle me félicite, à ce qu’elle me dise qu’elle était fière de moi…
Je suis partie. Sans rien. Une valise. Quelques vêtements. Quelques dizaines d’euros.
La vie reprend toujours ses droits. Comme cette jeune femme enfermée chez elle et qui tombe amoureuse pour la première fois de sa vie. Cette rencontre bouleverse tout. Elle la libère. Et sa mère n’a plus que le choix de la laisser partir.
Aimer vraiment c’est donc savoir laisser partir.
J’aime beaucoup cette phrase. Non seulement pour une relation parent-enfant, mais pour tout type de relations. Amitié. Couple… La personne qui souhaite prendre son envol sait mieux que n’importe qui ce qu’elle veut ou ce qu’elle ne veut plus. Même si sa décision puisse sembler irrationnel, c’est son élan naturel, vital qui l’y pousse. Et la retenir, l’obliger à rester, aux noms des valeurs qui ne sont pas ou plus forcément les siennes, ne peut amener rien de constructif.
Ces hommes qui menacent leurs femmes pour qu’elles restent auprès d’eux. Pleurs. Supplications. Chantage. Menaces. Violence verbale voire physique…
« Ne me quitte pas » chantait Jacques Brel.
Entendez-vous cette plainte ? Oh combien de fois nous la prononçons dans notre vie. Nous la disons à nos premiers amours. Et aux suivants. Ensuite à nos enfants qui grandissent, qui quittent la maison, qui se mettent en couple à leur tour. Parfois même à nos petits-enfants. Oui, ma grand-mère était triste lorsque tout d’abord ma grande sœur et ensuite moi avons quitté notre pays natal…
Et si on la remplaçait cette phrase par « Je te rends ta liberté. Prend ton envol si cela peut te rendre heureux/se.«
Un jour mes enfants partiront peut-être à l’autre bout du monde, très loin de moi. J’espère que je serai capable de le leur dire… Et prête.

Pour revenir au sujet de la jalousie et de la possessivité, je serais très injuste si je jetais la pierre sur les hommes uniquement. Les femmes aussi peuvent exceller dans le domaine. Dans mes premières relations amoureuses il m’est souvent arrivé d’être envahissante et possessive. Les erreurs de la jeunesse. Lorsque j’ai rencontré mon futur mari, il partait régulièrement en déplacements professionnels à l’étranger. Je n’aimais pas du tout rester seule pendant une voire deux semaines.
Le pire c’était le soir lorsque je me retrouvais dans notre appartement vide et il ne pouvait m’appeler car dînaient avec ses collègues et clients. J’étais jalouse. De des collègues. De ses clients. Je l’ai malmené à l’époque en pétant le câble à chaque annonce de sa part d’un nouveau déplacement en vue. J’ai évolué depuis. Mais malheureusement tellement de femmes et d’hommes ne capitalisent jamais sur leur vécu et perpétuent dans leurs relations toujours les mêmes schémas…
Aujourd’hui, à la sortie du confinement, la question de la liberté se pose.
Notre liberté. Celle de nos enfants. Reprise de l’école, des sorties, des rencontres amicales. Certains amants qui se retrouvent enfin après avoir été séparés. Et d’autres qui ne se retrouveront peut-être plus jamais.
Mais qu’elle que soit la force du virus et de l’épidémie, la vie reprend toujours ses droits. Il arrive le moment où nous faisons comme cette jeune femme du film : nous oublions la maladie et sortons, prenons un risque, pour profiter de la vie. Et nous faisons de même avec les êtres chers, malgré notre peur. Au nom de l’amour. Non celui qui surprotège, mais celui qui rend libre…
Alors, le gros méchant loup est encore là ou l’on peut sortir ?

“I’m covering my ears like a kid
when your words mean nothing
I go la la la
I’m turning off the volume when you speak
Cause if my heart can’t stop it
I find a way to block it
I go…”
(Naughty Boy & Sam Smith, « La la la…« )
Vous devez vous connecter pour laisser un commentaire.