Mon meilleur ennemi… seconde partie

“Mens sana in corpore sano” (Thalès de Milet)

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Je n’aurais pas pu choisir plus banale comme citation pour commencer ce nouveau texte. Oui, banale, mais aussi intemporelle et surtout indéniable. À force d’épuiser ses ressources physiques, le mental disjoncte à un moment ou un autre…

Pendant les deux grossesses que je considère comme de très belles périodes de ma vie, encore des douleurs dont je me serais passée. Terriblement mal au coccyx en position assise toute la journée au bureau. A chaque fois que je me lève, c’est comme si on me plantait une énorme aiguille en bas du dos. De plus, il fait très chaud dans cet espace de travail vitré de huit personnes, comme un aquarium exposé plein sud. J’ai des bouffées de chaleur qui me donnent le tournis. Sans parler des hémorroïdes épouvantablement douloureuses à partir du septième mois de grossesse, et qui m’ont gâché le plaisir d’être maman six mois encore après l’accouchement. Mais je gère, j’ai un mental d’acier à cette période de ma vie.

Et d’ailleurs, comment pourrais-je le haïr, ce corps qui m’a donné mes deux magnifiques enfants.

Quelques années plus tard, une heure du matin, allongée sur le canapé de la chambre d’amis où je dors depuis quelques temps. Je n’arrive pas à dormir car mon cycle de sommeil a été complètement déréglé par les nuits compliquées de mon fils aîné depuis sa naissance et ce jusqu’à ses cinq ans. Typique des garçons précoces dont le cerveau a du mal à se calmer la nuit. Maintenant qu’il dort bien depuis quasiment deux ans, je continue à me réveiller naturellement au milieu de la nuit, sans parler de mes difficultés à m’endormir. Et l’idée de devenir dépendante de somnifères fait que je n’en prends qu’exceptionnellement, la veille d’un examen ou d’un rendez-vous important par exemple. Mais tous les autres jours, c’est un énorme problème pour fonctionner normalement.

Je regarde dans le noir, des idées créatives se bousculent dans ma tête. Je les ai occultées pendant tellement d’années.

Si je pouvais agir en faisant fonctionner uniquement mon cerveau et sans faire de bruit pour ne pas réveiller mes enfants et mon mari, je pourrais réaliser tellement de choses. A la seule force de mon esprit, je pourrais être vraiment productive, performante, efficace. Mais non, malheureusement le corps ne suit pas l’esprit et une partie de mes idées ne seront jamais réalisées. La faute à qui ? A mon manque de volonté ? Non, j’ai de la volonté. A mon manque de motivation ? J’en ai aussi. A mon manque d’inspiration ? J’en ai, surtout la nuit. Mais la nuit je dois laisser la maison silencieuse pour respecter le sommeil des autres.

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J’ai toujours eu l’impression de vivre dans une sorte de décalage entre mon corps et mon esprit. Comme dans deux mondes parallèles. Mon esprit qui va à 200 km/h, et mon corps qui ne suit pas vraiment, pas toujours. Déjà à la base je suis une nocturne, une couche-tard et une lève-tard. Le rythme de la société, ce n’est pas vraiment pour moi. Comme je comprends et surtout comme j’envie certains artistes et écrivains qui s’autorisent à travailler la nuit en respectant leur rythme naturel et celui de leur élan créatif, comme Amélie Nothomb par exemple, l’une de mes auteures préférées.

J’aurais beaucoup donné pour pouvoir respecter mon rythme naturel, mais le travail que je ferai pendant des années, dans une compagnie assurance, ne le permettra pas. Et le rôle de mère de famille oblige aussi. Inévitablement, au fil des semaines, des mois et des années, la fatigue s’accumule, l’organisme s’épuise peu à peu. Les études scientifiques le confirment : un couche-tard qui s’adapte au rythme imposé par la société épuise plus vite ses ressources d’énergie. Pour une nocturne comme moi, jamais endormie avant minuit, me lever entre six et sept heures pendant des années, c’est comme si je faisais un aller-retour Paris-New-York chaque semaine.

Un jet lag permanent.

Mais ce corps est forcément mon allié. C’est lui qui a tiré la sonnette d’alarme lorsque je supportais l’insupportable dans ma dernière entreprise. Il a crié bien fort « Prends soin de moi ! » Je n’ai pas eu de problème grave de santé (quand je dis grave, je pense à incurable). J’ai eu différents symptômes plus ou moins durables, qui réunis ensemble rendaient ma vie quotidienne très pénible. En apparence, aucun problème, droite et debout. En réalité, je somatisais beaucoup. Lorsque cela t’arrive, tu as deux options : soit tu prends des médicaments pour atténuer la douleur et masquer les symptômes pour continuer en mode « marche ou crève », soit tu écoutes (pour une fois) ton corps qui ne ment jamais et t’attaques aux causes profondes. Cette seconde option demande énormément de courage, mais c’est vital quelle que soit la cause profonde de votre mal-être.

Sortir d’une relation toxique, quitter un travail qui est devenu votre prison ou modifier drastiquement vos habitudes alimentaires…

Prendre soin de soi, (ré)apprendre à aimer votre corps, c’est le meilleur cadeau que vous pouvez offrir à vous-mêmes et à ceux que vous aimez. Prendre soin de soi, sans culpabiliser, sans se dire que c’est de l’égoïsme, c’est prendre soin de sa famille. Prendre soin de vous, c’est vous donner les moyens de mieux vivre vos obligations professionnelles, personnelles ou sociales. Prendre soin de toi, respecter ton corps, c’est améliorer tous les domaines de ta vie.

Redeviens amie de ton corps et le reste suivra.

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Le réveillon du nouvel an. Il est minuit et nous sommes ensemble tous les quatre. Mon fils aîné me dit « Maman mon vœu est que tu ne sois plus fatiguée cette année ». Il aura bientôt sept ans, et de septembre à décembre j’ai à nouveau très mal dormi à cause de lui. Il avait une toux chronique nocturne. Pas une toux, une sorte d’étouffement qui lui coupait le souffle plusieurs fois par nuit. De l’asthme ? Les médecins l’ont soigné contre l’allergie, le reflux gastrique, les parasites et j’en passe… Un enfant en parfaite santé avant cet épisode, gavé d’antibiotiques, d’antiinflammatoires, d’antihistaminiques et d’autres corticoïdes. Je leur dis que c’est une coqueluche. Rien à faire. Personne ne m’écoute. Les médecins savent mieux.

« Madame, vous n’avez pas fait dix ans de médecine ».

Je fais donc du tourisme médical en espérant de tomber sur quelqu’un qui m’écoutera enfin. « Madame, regardez, il va bien votre enfant ». Eh oui, le jour aucun symptôme. Et la nuit cela fait deux mois déjà que je dors avec lui pour le surveiller, l’aider à reprendre son souffle et lui donner à boire. Et le jour, je suis inquiète à l’idée qu’il soit fatigué à l’école. Je demande une hospitalisation pour réaliser les examens nécessaires, on me le refuse. Je supplie mon mari d’aller voir le pédiatre et d’exiger une radio des poumons et d’autres bilans. Avec lui, ça passe comme une lettre à la poste, il me ramène les ordonnances nécessaires. Pas grand-chose dans les analyses. Pour la coqueluche, le résultat est mitigé, ni oui ni non. Apparemment un seul service médical en Ile-de-France est capable de faire une analyse approfondie afin de distinguer si le résultat mitigé est dû au vaccin que mon enfant a eu quand il était petit ou à la maladie… Il n’en bénéficiera pas.

Comment font les mamans qui ont un enfant handicapé ou atteint d’une maladie grave ?

Après plusieurs semaines de traitements divers et variés, une petite amélioration sans savoir grâce à quel médicament. Je suis en pleine période d’examens à mon école dans le cadre de ma reconversion professionnelle et je n’ai pas fait une nuit complète depuis deux mois. L’examen de fin d’études approche, je suis sous perfusion de café. Mon cadet commence à avoir des soucis à l’école, un camarade de classe lui enfonce ses ongles dans le cou et certains copains lui piquent ses lunettes. Le matin il ne veut plus s’habiller pour aller à l’école. Quand je le récupère le soir, il a souvent mal au ventre. Il somatise. Négociations avec l’école pour qu’il soit surveillé de près. Visites chez une psychologue privée. Mais j’ai l’impression de me débattre dans le vide. Je suis très stressée. Angoissée par la maladie du grand. Inquiète pour la scolarité du petit. Mon mari travaille beaucoup et n’a pas l’air spécialement préoccupé par la situation. Tous les soirs il rentre à 21 heures… Ma charge mentale devient de plus en plus lourde.

Comment ferais-je, si j’étais en poste à temps plein ?

Malgré mon niveau d’énergie bas en ce mois de décembre, je réussis brillamment mes examens de fin d’études une semaine avant Noël. Mon acuité intellectuelle toujours au plus haut point, dommage que ma condition physique ne soit plus ce qu’elle avait été jadis. Mon mari est disponible à cette période de l’année car son entreprise ferme à Noël, quelques jours de répit pour moi. Il joue avec les enfants, les emmène aux activités extrascolaires, fait les courses. A Noël, nous avons l’air d’être une famille modèle. Les enfants s’amusent bien, le cadet oublie un peu ses problèmes avec les camarades de classe, le grand commence à aller mieux, ses crises de toux s’estompent progressivement. Ouf, je commence à voir l’autre bout du tunnel…

Et surtout, j’ai lancé mon blog auquel je pensais depuis un an déjà. Une nouvelle énergie me porte.

J’écris.

Des souvenirs m’envahissent, de bons et de mauvais.

La fatigue physique et morale fait son effet, le dernier épisode de ma crise existentielle commence…

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Une pauvre femme frappe à la porte. Blanche Neige, fatiguée par les tâches ménagères et esseulée à force d’attendre que ses petits hôtes rentrent à la maison, ouvre la porte.

Tient, une visite ! Chic ! Je vais voir comment je peux aider cette pauvre femme…

Ça y est, nous y sommes. Confiante et généreuse, Blanche Neige accepte la pomme empoisonnée.

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