« Rappelle-moi mes rêves les plus fous
Rappelle-moi ces larmes sur mes joues
Et si j’ai oublié, combien j’aimais chanter »
(« Si jamais j’oublie », Zaz)
La maîtresse de mon fils aîné a mal pris le mot que je lui ai écrit dans le cahier de liaison hier soir. J’étais sous l’emprise de l’émotion. Pas de mon émotion à moi, je sais très bien gérer mes émotions. De l’émotion de mon fils. J’ai toujours du mal à prendre du recul lorsqu’il s’agit du bien-être de mes enfants. Comme toute maman…
Et pourtant, je n’ai pas été méchante ni agressive dans mes propos. Je n’ai aucunement remis en question ses compétences ni ses méthodes pédagogiques. J’ai juste parlé du ressenti de mon fils, de son ennui, de son fonctionnement différent des autres élèves et de son besoin d’être challengé…
« Maman, je n’ai rien appris aujourd’hui en maths », « Maman, pourquoi je dois aller à l‘école si je n’y apprends rien de nouveau ? », « Maman pourquoi la maîtresse ne me donne rien de compliqué à faire, je sais faire depuis longtemps ce qu’elle me demande de faire », « Maman, nous avons encore fait des tables de 2 et de 5 aujourd’hui, je les connais déjà par cœur ». Etcaetera etcaetera. Chaque soir c’est la même chose.
Mais il aime l’école quand même car c’est un enfant sociable et il y voit ses copains. Depuis quelque temps, il passe beaucoup de temps en compagnie de certains élèves de CM1 et de CM2 qu’il côtoie à la récrée, à la cantine et à l’étude. Il est au CE1 sans avoir fait de CP. Passage direct de grande section après des tests psychologiques, des tests de niveaux, l’intervention d’une association spécialisée et des négociations avec le corps pédagogique de l’école maternelle où il était l’an dernier… Sa maîtresse poussait vers un saut de classe, la directrice s’y opposait fermement. Nous, les parents, avons tranché en prenant sur nous toute la responsabilité d’éventuels effets néfastes que ce saut de classe aurait pu avoir sur son développement ou sur sa sociabilisation (qu’appréhendait la directrice, mais je savais pertinemment, connaissant bien mon enfant et les tests psychologiques à l’appui, que ses craintes étaient infondées).
La rentrée s’est très bien passée, mais rapidement nous avons constaté que notre fils n’avait quasiment pas de devoirs à faire. En fait si, il en avait, mais c’était fait en dix minutes. Lecture : rien à faire, il lisait couramment. Expression orale : parfaite. Compréhension des textes lus : rien à dire. Mémorisation des poèmes : très rapide. Écriture : bien. Orthographe : dans la moyenne. Maths : décalage total avec le programme du CE1.
Et il n’arrêtait pas de se plaindre de plus en plus de l’ennui qu’il éprouvait notamment en maths. Il est vrai que les maths étaient son dada du moment et il n’arrêtait pas de se faire de petits défis tout seul. Tout y passait : calcul mental, multiplications, divisions, fractions, pourcentages, racines carrées… Sauf qu’au CE1, c’est toujours les additions et les soustractions, pendant que son cerveau va plus vite que la lumière et surtout il va tous azimuts.
Comme chez la plupart des enfants précoces, son cerveau ne fonctionne pas de manière linéaire. Il a un fonctionnement en arborescence. Il a besoin de complexité, de difficulté et de chalenge pour être intéressé, mais aussi pour bien se développer. Dans le cas contraire, il décroche progressivement. Pour remédier à son ennui, il nous demandait de lui faire faire des calculs mentaux avant le coucher, à la place de l’histoire du soir. Sans cela, il était très malheureux, sa petite tête ayant besoin d’être alimentée à la hauteur de ses capacités et avec ce qui l’intéressait vraiment. Normal. Le problème, c’est que ce qui l’intéressait ne faisait pas partie du programme du CE1.
En décembre nous en avons parlé à sa maîtresse, elle avait noté et promis de lui donner des fiches avec des exercices supplémentaires et plus complexes. Nous pensions que le problème était réglé, mais non, rien depuis décembre, nous étions fin mars… Mais puisqu’il ne dérangeait pas en classe, contrairement à certains enfants précoces qui peuvent devenir turbulents à force de s’ennuyer, et qu’il se fondait très bien dans la masse, la maîtresse était persuadée que TOUT ALLAIT BIEN. Mais ça n’allait pas bien. Ça pétait à la maison.
Ce jour-là, où j’ai écrit LE FAMEUX MOT, il venait de me faire un énième «caca nerveux».
A force de devoir s’adapter, un enfant pète forcément les plombs plus tôt ou plus tard. Ou alors il refoule toutes ses émotions, et ça pète à l’âge adulte, il faut que ça sorte d’une manière ou d’une autre. S’adapter au programme qui ne prend pas en compte ses besoins et son fonctionnement spécifiques. S’adapter constamment au rythme des autres enfants. S’adapter sans cesse à la majorité. Essayer de faire semblant d’être comme les autres. Une tâche bien lourde pour un enfant de sept ans.
D’accord, il s’occupe comme il peut quand il a terminé ses exercices en classe, mais cela commence à bien le lasser le cube Rubik, les Lego et les autres Sudoku qu’il fait en attendant que ses camarades terminent. Il aimerait au moins avoir le droit d’aider ceux qui ont des difficultés, mais la maîtresse ne souhaite pas qu’il parle quand tout le monde n‘a pas encore terminé… Il comprend beaucoup de choses, mais il a du mal à comprendre pourquoi sa différence n’est pas considérée.
La seule chose que je trouve pour le consoler est de lui dire qu’il a de la chance d’avoir plein de copains car une bonne partie d’enfants différents, qu’ils soient précoces ou qu’ils aient un autre trouble d’apprentissage, n’ont pas autant de copains. Et je n’arrête pas de lui répéter que « tout le monde est différent des autres et ce qui compte c’est de s’entourer des personnes avec qui nous nous sentons bien et qui nous aiment vraiment malgré ce que nous sommes ou plutôt avec tout ce que nous sommes… » Mais au fond de moi, je sais très bien qu’il ne suffit pas d’admettre qu’il est différent. Il est indispensable qu’il soit traité en tant que tel. Ne pas le faire porterait préjudice à son potentiel.
Obligé de rentrer dans le moule tout le temps, l’être humain s’oublie, renonce à soi.
Moi, gamine, on ne me l’a jamais expliqué, et je ne me suis jamais plainte de mon sort d’enfant précoce. Identifiée comme telle, j’ai fait moi aussi un saut de classe, une grande ambition et une vraie fierté pour mon père. Et mon suivi psychologique s’est arrêté là. A ce test de QI. Rien de plus. Allez hop, un saut de classe et tu te démerdes toute seule. Une excellente scolarité sans pour autant aller dans l’excès, j’avais bien compris que si je me démarquais trop, je risquais d’être marginalisée par mes camarades de classe. Je me suis donc adaptée pour être parmi les cinq premiers, jamais la première. Les filles précoces le font souvent. Et les femmes adultes aussi, dans le monde professionnel et pas que. Camoufler nos capacités créatives, notre intelligence émotionnelle et notre sensibilité exacerbée pour ne pas trop sortir du lot. Pour ne pas être traitée comme quelqu’un qui a la grosse tête. Pour ne pas passer pour une décalée. Pour ne pas être rejetée…
Mais en nous suradaptant, une fatigue existentielle et relationnelle s’installe peu à peu, jusqu’à la saturation…
A la différence de mon fils aîné, très sociable et extraverti, et qui a confiance en lui, à l’école je n’avais pas toutes ses facilités et c’était probablement lié au cadre trop strict que j’avais à la maison. Je me rappelle de moments de grande solitude, je sentais qu’il y avait un truc qui « clochait », mais je ne savais pas quoi exactement. Je continuais donc à m’adapter au système en abandonnant mon fonctionnement naturel et spontané.
En revanche je me sentais comme un poisson dans l’eau dans mon club d’échecs et lors des tournois auxquels je participais plusieurs fois par an durant toute ma scolarité. J’étais dans mon élément avec des gens qui me ressemblaient. Les échecs étaient mon exutoire…
Je repense à la période où je travaillais encore dans une grande entreprise au cœur de Paris. Une énième réunion qui s’éternise et j’ai l’impression que tous les participants tournent en boucle. J’ai déjà entendu plusieurs fois ce qu’ils se racontent. Rien de nouveau. Rien d’innovant. Rien de constructif. Je n’écoute plus.
Mes pensées vagabondent. Je m’ennuie. Je décroche.
Et je ne dis rien non plus, car je sais d’expérience que mes idées auraient du mal à passer. Pourquoi ? Je le comprendrai plus tard, lors de ma reconversion professionnelle… Ce n’est pas parce que je suis une femme ou parce que suis étrangère (c’est ce que je me suis souvent dit). C’est juste parce que je suis « différente ». Dans la société, nous sommes entre 2 % et 5 % à fonctionner de cette manière, de quoi se sentir mal à l’aise face à la majorité au fonctionnement « classique ». Mais afin d’avoir une chance de s’épanouir dans la vie, il faut l’assimiler, l’accepter et l’assumer. Pour enfin développer consciemment ce qui nous rend différents et en faire une véritable force et non plus une faiblesse.
« Si jamais j’oublie, les nuits que j’ai passées
Les guitares et les cris
Rappelle-moi qui je suis, pourquoi, je suis en vie »
(« Si jamais j’oublie », Zaz)
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