Joyeux anniversaire !

Quarante ans ma chère J. Cela se fête et je suis ravie que tu les célèbres avec tes amis et amies. Je suis touchée d’en faire partie.

Lorsque je t’ai demandé ce que je pouvais t’offrir, tu m’as répondu “quelque chose de ta création”. J’ai cru entendre un écrit. Un vœu de star ! À ma connaissance celui qui a demandé cela à ses amis fut Philippe Starck pour son mariage. 

[Ce texte est un cadeau que j’ai reçu pour mes 40 ans. MERCI !]

Écrire donc. Facile et pas facile. Surtout quand il n’y a pas de sujet comme pour ton blog. Le sujet c’est toi, tes quarante ans, notre amitié ? Je n’ai pas non plus un nombre de signes même minime cela crée une sorte de maximum et donc de cible. Je n’en ai pas là. Cadeau.  Cadeau sans limite comme dans l’amitié, il n’y en a pas.

J’ai envie de te parler de notre amitié.

A quand remonte-t-elle ? La première fois que je t’ai vue où je crois que je n’étais pas censée te connaître ? Ou je ne m’en souviens pas. J’ai en tête deux images de notre rencontre. Lorsque nous avons récupéré nos chèques cadeaux. Tiens cela tombe bien, notre amitié commence par ce cadeau ! Offert par notre entreprise commune. Tu te souviens de cet exercice imposé avec le comité d’entreprise ? Un peu humiliant à mes yeux, on récupère un cadeau, mais pour le mériter on doit faire une queue interminable et accepter de perdre son temps tout en faisant des sourires à des collègues plus ou moins proches. On voit certains changés, vieillis… ceux que l’on n’a pas vus depuis longtemps.

Ce jour-là donc en fin d’année, tu te rappelleras mieux quelle année, on ne fait pas trop la queue, car toute l’équipe du comité d’entreprise est réquisitionnée pour assurer une distribution rapide. Et là je t’ai vue peut-être après ou avant cet autre événement qui marque notre première fois : une sorte de speed dating pour se rencontrer entre collègues avec celles et ceux du marketing. Première impression : tu es grande, on te remarque, tu as un accent, tu es avenante. Je ne sais même pas si on s’est parlé, je me souviens juste de toi. Pas de nous. Et puis tu as fait partie de l’équipe, comme on dit la « fine équipe » !

Quelle drôle d’expression car elle n’a rien de « fin » cette équipe. 

Bref, j’apprends à te connaître. Et une amitié naît. Je suis impressionnée par cette capacité que tu as eue de quitter ton pays, ta patrie, ta famille et renoncer à un certain confort. Je ne suis pas sûre que j’en aurais été capable. Combien de fois je me suis dit et l’ai revendiqué, quand je parle de toi à mes proches, que tu étais douée et agile pour être capable de t’expatrier ainsi aussi longtemps et maîtriser parfaitement la complexité de notre langue. Pour avoir passé quelques années à enseigner cette langue à un grand nombre d’étrangers, je mesure d’autant mieux ton don et tes capacités. Il faut en outre un courage que je ne suis pas sûre d’avoir. Et tu restes en plus très fidèle à tes origines, pensant les transmettre à tes enfants, leur langue maternelle. 

Revenons à nos premiers échanges qui ont donné naissance à cette amitié.

Ta générosité m’émeut. Les chocolats que tu rapportes de tes voyages dans ton pays natal, ou tes cadeaux plus personnels, comme le muguet que tu m’apporteras encore récemment le 1er mai. Il y a notre responsable contre laquelle nous devons faire bloc. On n’y arrivera pas forcément. Je me laisse me faire harceler car nous sommes elle et moi parfaites dans nos rôles de bourreau-victime.  Tu as vécu toi aussi avant de venir nous rejoindre du harcèlement avec une manager à laquelle j’avais proposé sans réelle motivation ma candidature (comme quoi) et qui m’en a d’emblée dissuadée. Je l’en remercie.

Quant à toi, tu commences à te concentrer sur ton projet personnel de fonder une famille. Tu peines. Cela me rappelle mes difficultés pour mettre au monde mon premier enfant. Cette expérience commune nous rapproche. D’autant que dans l’équipe nous sommes les deux seules à épouser un modèle familial classique. Dans la norme, nous sommes les anormales de l’équipe. Personne n’a d’enfants. Tu fais bien de partir. Ce sera toujours ça de gagné. Ta grossesse désirée se fait encore plus désirer. Un chemin de croix jusqu’à cette grossesse difficile dans les premières semaines qui t’oblige à subir une opération importante.

Je redoute le moment où tu vas partir pour ton congé maternité.
Tu vas être remplacée, mais pas tout de suite.

En attendant je remplis une partie de tes missions. Mon « bénévolat » pour l’entreprise. Puis l’arrivée de J., notre nouvelle et jeune collègue, qui deviendra plus que ta remplaçante pendant ton congé maternité. Elle a été très vite notre amie. Enfin quelqu’un de normal. Je vous ai admirées toutes les deux dans la gestion de votre relation. J. devenue ton binôme, embauchée en CDI, a gardé de son stage dans son entreprise précédente une excellence professionnelle comme la tienne. Elle ainsi que toi faites partie des meilleures recrues que notre service ait pu compter à son actif. 

À l’heure où j’écris ces lignes, toi comme elle, ne faites plus partie de ses effectifs, c’est le sens de l’histoire.

Je me suis liée d’amitié avec J. pendant ton congé pendant lequel on n’avait pas trop de relations, à l’exception de quelques mails échangés. Mais je savais que ta santé comme celle de ton enfant était bonne. C’était là le principal à mes yeux. Et toi comme moi ne sommes pas des inconditionnelles du téléphone. Enfin mon harcèlement me pompe beaucoup d’énergie. Ta grossesse et l’arrivée de ton aîné t’accapare. 

Je t’avoue aussi que je culpabilisais un peu à ton égard à l’idée de nouer cette amitié avec ta remplaçante. Cela renvoyait à ma propre histoire, la remplaçante que j’ai eue pendant le mien avait été recrutée pour me remplacer. Je le subodorais. Prophétie réalisatrice ou vrai pressentiment ? En tout cas mon histoire n’avait aucun rapport avec la tienne. 

Et miracle tu es revenue et tu t’entendais très bien avec ta remplaçante devenue ta collègue et amie surtout, je suis ravie, elle fête avec nous tes quarante ans. Vous formiez la paire de J&J avec vos prénoms trisyllabiques commençant par la même lettre. L’équipe connaît un certain équilibre. Courant, je manque certains moments de complicité interprofessionnels comme les déjeuners. Mais j’en ai besoin pour mon équilibre. Je ne me suis jamais faite à la collectivité imposée par cette mode des plateaux économiques permettant de faire baisser les coûts de production. De prime abord. Je n’en suis pas convaincue, in fine on perd d’autant en productivité. Là n’est pas le débat.

J’ai manqué quelques moments de complicité qui n’ont pas remis en question notre amitié. Quand tu es revenue, tu étais jeune maman et on partageait cela encore avec un autre point commun la ressemblance de nos deux aînés ! Une hyper-sensibilité, une intelligence insolente, une exigence. Oui une exigence de nourrisson, unique qui n’a rien à voir avec celle des autres enfants de ce si jeune âge. On peut en attester avec nos seconds. Difficile de ne pas nous en laisser conter par tous les (bien) mieux pensants qui nous culpabilisent devant cet état de fait. Enfant nerveux parce que parent nerveux. 

Il y a eu mon mariage. Tu étais la seule invitée de notre équipe.

Tu es venue avec ton mari et votre fils encore en poussette. Je me rappelle très bien la remarque du maire au moment où ton petit s’est exprimé, qui a fait dire au Maire de façon prophétique “il y en a un qui n’est pas d’accord ». C’est aussi à cette occasion que tu as rencontré ma mère qui se souvient très bien de toi et à qui tu as fait très bonne impression. 

Ton deuxième enfant au prénom d’un de mes chanteurs favoris a pointé son nez. Encore une similitude : un garçon comme moi. Comme moi aussi tu es issue d’une fratrie de trois enfants deux filles et un garçon. Donc comme moi tu n’as pas expérimenté la toute-puissance masculine à la maison, celle pourtant à laquelle on sera toi et moi désormais confrontées. Seule femme à la maison entourée de trois hommes. Dont un qui compte pour trois, toi comme moi. De l’extérieur je les entends tous d’ici, elle doit être la reine à la maison.

Te sens-tu dans ce rôle ? Je ne le crois pas.

Plutôt pointée du doigt par ces trois hommes surtout quand les enfants grandissent. Plutôt l’élément bizarre de la famille que la personne jugée comme choyée par les critiques judéo-chrétiennes perçues dans des regards, des remarques un peu acides. D’autant que le modèle familial est plus que chahuté par ces deux singletons rebelles et à cause desquels, ou pour lesquels, on doit rendre des comptes au mieux et subir critiques et controverses au pire. On se laisse diriger toi par ton aîné, moi par le mien bien sûr. En attendant qui parmi nos (très) proches a gardé ne serait-ce qu’une semaine cet enfant rebelle ? Chez moi personne.

Et je ne te souhaite pas que l’un des membres de ta famille se mue en redresseur de torts auprès de ton fils, comme ce fut le cas à plusieurs et trop de reprises auprès du mien. Pas d’autre choix que de devenir dure. Pas assez pour certains. Chez toi comme chez moi les hommes s’équilibrent entre eux chacun dans son rôle. La forte tête de la maison qui fait la pluie et le beau temps enfin plutôt l’orage et parfois de merveilleuses éclaircies éclipses.

Le second pour toi et tout comme chez moi qui dès leur naissance doivent justifier chaque jour leur existence et dont les droits sont soumis au bon vouloir de leur aîné. Et les pères, au contraire de nous, n’ont connu qu’un ou deux frères respectivement. Mais ils ne savent pas mieux faire pour s’imposer par rapport à la toute-puissance de leurs aînés pour faire régner un équilibre plus juste, et ne pas laisser leur femme s’épuiser.  Dépassés ! A nous de « jouer » dans cet imbroglio masculin dominé par la taurine !

Et ensuite mon divorce. Tu étais aux premières loges avec J. 

Et très vite un autre drame, professionnel celui-là, est venu s’ajouter pour moi aux autres drames et rompre ton équilibre pour toi. Ce drame est venu rebattre les cartes. On était tous touchés. Mais j’avais la chance à cette époque d’être amoureuse et ce tsunami rocambolesque m’a heurtée relativement car sous le joug de la passion ou par anesthésie émotionnelle. Toi tu as pris cela de plein fouet.

Avec une telle hiérarchie, on n’était pas protégées. Il n’était pas normal d’être encore confrontées à notre hiérarchie, elle-même discréditée par sa propre hiérarchie, mais de la part de quelqu’un défaillant en management on ne s’attend pas à mieux. Toi tu as évité autant que possible la confrontation, moi j’ai endossé le rôle de petit soldat « on-est-là-pour-en-baver ». À la maison comme au bureau. 

J’aime notre amitié.

Tu as une analyse toujours très fine des événements que je traverse et tu m’apportes souvent un éclairage juste sur ce que je devrais entreprendre. Tu m’as beaucoup motivée et inspirée. Je n’ai pas compris à quel point tes propres relations inter-familiales étaient pesantes. Je l’ai découvert récemment. Ton père, ta mère et ta sœur. Avec ton frère, cela semble plus simple. Il est plus jeune, mais aussi moins impliqué (donc moins impactant sur toi) dans la collectivité de votre famille, il a trouvé la parade en prétextant ne pas avoir d’argent, j’en connais d’autres. Pratique pour arbitrer ses dépenses comme bon lui semble. Sans enfants et travaillant, on a du mal à croire qu’il soit si aux abois qu’il veut bien le prétendre donc moins impactant.

Ta belle famille. Famille imposée. Il est rare de tomber sur une famille en harmonie avec soi. Comme il l’est quand il s’agit d’en recomposer une. À mes dépends j’apprendrai qu’il faut une volonté, une énergie, de la tolérance, de la patience, un savoir- faire et que sais-je que je n’ai pas pour être en capacité de se lancer dans ce projet fou. Et surtout être collectivement résiliant et non résistants, ancrés dans le concept de famille déchu. Belle famille et famille reconstituée même combat. 

Comment terminer cet écrit ?

Je voudrais qu’il soit à l’instar de notre amitié qu’il ouvre sur une nouvelle page. Qu’elle annonce pour toi une vie professionnelle renouvelée en harmonie avec tes projets personnels et reflète les efforts et exploits dont tu peux être fière à l’issue de ces deux formations suivies avec brio à des moments forts de ta vie. Tes enfants qui commencent l’apprentissage de l’école et de la vie entre leurs deux pays.  

Tes lendemains d’une vie professionnelle classique, mais qui ne te correspond plus et qui ne t’a pas fait de cadeaux entre du harcèlement, du sexisme et une sorte de boring out ou et burning out.  Et tu as le courage et la lucidité de le reconnaître et d’adopter une attitude résiliente quitte à brusquer des schémas et des habitudes que vous aviez instaurés au sein de votre vie à quatre. Que cette page soit le début d’une nouvelle aventure dont je veux être témoin privilégié !

Bon anniversaire ma chère J.
À toi d’écrire ta propre histoire. 

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[Ce texte est un cadeau que j’ai reçu pour mes 40 ans. MERCI !]