Le temps c’est de l’amour

A m’asseoir sur un banc cinq minutes avec toi
Et regarder les gens tant qu’il y en a
Te parler du bon temps qu’est mort ou qui reviendra
En serrant dans ma main tes petits doigts
(« Mistral gagnant« , Renaud)

Nous sommes en plein milieu de la semaine. Il est sept heures trente du matin, je suis à la bourre et je dois préparer le petit déjeuner pour mon fils cadet. Mon mari s’apprête à partir au travail, et sur son chemin il déposera notre fils aîné à l’école. Mon cadet fait son apparition, il est très pâle. « Oh mais qu’est-ce qui t’arrive mon chéri, tu ne te sens pas bien ? Habille-toi vite on va passer à table. » Je prononce toutes ces phrases en mode mitraillette. « Je viens de vomir maman », répond-il.

[Histoire de lectrice]

Eh merde, ça tombe vraiment mal, je serai obligée de rester à la maison et j’ai un rapport très important à terminer. Je ne peux pas trop compter sur ma mère pour garder le petit car depuis qu’elle est à la retraite elle profite pleinement de la vie, souvent en voyage ou à sortir avec ses copines. Ni sur mon mari d’ailleurs, il a toujours des choses « extrêmement importantes et urgentes » à faire au travail et ne peut se libérer même une matinée ou un après-midi pour garder son fils malade. Nous nous disputions souvent à ce sujet avant.

Étant donné que je gagne moins que lui, il doit penser que son travail est plus « important » que le mien. Comme la plupart des chéris de mes copines d’ailleurs…

Évidemment, il ne le dit pas haut et fort, mais je le ressens. Et ne parlons pas de ma belle-mère, une malade imaginaire qui n’est jamais disponible. Bref. Je dois prévenir mon chef de mon absence, cela ne va pas être une partie de plaisir, en ce moment, il est en pleine instance de divorce donc imbuvable et limite agressive avec toutes les femmes de l’entreprise. Je décide de lui envoyer juste un e-mail, vraiment pas envie d’entendre son agacement au téléphone. Je n’emmènerai pas le petit chez le médecin, je n’en ai pas le temps si je veux terminer ce rapport.

J’attendrai demain pour voir si son état ne s’aggrave pas.

Il est presque midi et je suis toujours aussi tendue et agitée comme ce matin. Mon fils s’est rendormi et moi j’attends les données manquantes que je devais recevoir par mail ce matin. La tension monte. Toujours rien. Mon téléphone émet un signal, je me dépêche pour vérifier si j’ai reçu les informations que j’attendais. Pas du tout. C’était mon mari qui me demandait « comment ça allait à la maison ». Sur le coup j’ai envie de lui répondre grossièrement, mais je décide d’ignorer son message. Je fais toujours beaucoup de bruit quand je suis énervée, du coup un claquement trop fort de la vaisselle a réveillé mon fils. Plongée dans mes pensées, j’ai oublié qu’il dormait sur le canapé du salon annexé à la cuisine.

« Tu es fâchée, maman ? » me demande-t-il.

« Pas du tout ! Excuse- moi mon chéri. Je suis juste un peu stressée, c’est à cause de mon travail ». J’essaye, par tous les moyens, de paraître moins tendue et de faire bonne figure. Je reçois finalement les données manquantes quand il me demande « maman, ça te dit de jouer au scrabble ? ». « Euh, maintenant ? Je ne peux vraiment pas. Dans une heure, d’accord chéri ». « D’accord maman » répond-il, visiblement déçu.

Je me mets au travail, mais je n’arrive pas du tout à me concentrer, ces derniers jours je me pose beaucoup de questions existentielles. Je m’interroge sur l’avenir de mon couple, mais surtout je me demande si je suis une bonne maman pour mes enfants. Est-ce que je leur donne le meilleur ? Est-ce que je leur consacre suffisamment de mon temps et mon attention ? Suis-je une mère heureuse, épanouie et disponible au quotidien ?

Si je fais un bilan honnête du degré de béatitude que j’ai éprouvé durant ma vie de maman, les résultats vont être peu glorieux.

Ma première grossesse était à risque donc j’étais stressée pour le bébé tout le temps, ce qui n’arrangeait pas la situation. J’ai été même suivie par une sophrologue qui m’a appris, entre autres, à me détendre. Les premiers mois avec le bébé ont été marqués par de fréquentes visites chez le pédiatre et à l’hôpital. Je n’avais pas l’esprit tranquille et je n’ai pas pleinement profité de ce temps, censé être fabuleux, avec mon nouveau-né.

Je suis restée un an à la maison avec mon fils avant de reprendre le travail. La reprise a été très dure car j’avais une relation fusionnelle avec lui. Il a d’ailleurs très mal vécu notre séparation et il m’en a fait payer cher. Pendant de longues semaines il refusait que je lui change la couche ou que je lui donne le biberon, il ne voulait plus que je joue avec lui non plus. Cette période a été particulièrement éprouvante pour moi.

Quant à ma deuxième grossesse, sur le plan physiologique elle s’est très bien passée, par contre à la maison l’ambiance était très tendue, pour diverses raisons. De plus, mon aîné rentrait dans la phase d’opposition donc de nouveau je n’étais ni sereine ni épanouie. A la naissance de mon deuxième, les crises de jalousie et les colères subites de la part de mon aîné se produisaient assez fréquemment.

Épuisée par le manque de sommeil, j’avais du mal à gérer cette situation et rester relaxée et calme.

Une fois le second congé maternel fini, j’ai repris le travail. De nouveau j’ai eu des difficultés à me séparer de mon bébé, mais au moins j’avais une nounou formidable qui s’occupait très bien de lui. A cette époque je travaillais beaucoup, non seulement au bureau, mais également je rapportais du travail à la maison. Le pire, j’étais constamment rongée par le sentiment de culpabilité que je ne passais pas assez de temps avec mes enfants. J’avais énormément de regrets, j’éprouvais un sentiment de passer à côté de quelque chose d’important.

Il me manquait un réel équilibre entre ma vie professionnelle et ma vie de maman.

J’aimais beaucoup mon métier et ce que je faisais, mais j’ai décidé de demander à mon chef d’aménager mes horaires de travail. J’ai voulu profiter de cette possibilité, même si mon mari n’a pas été très enchanté au début. Maintenant je commence à retrouver cette harmonie tant manquée. Mais parfois, comme aujourd’hui j’en veux à mon mari de ne jamais être disponible pour les enfants quand ils sont malades. Ou le soir lorsqu’il rentre très tard, même s’il pourrait faire du télétravail sans aucun problème.

En tout cas moi, depuis la décision d’aménager mes horaires de travail, je me sens beaucoup mieux et cela fait du bien aux enfants aussi.

J’ai vraiment changé, je suis bien plus joyeuse et bien dans mes baskets. J’essaie de profiter au maximum de chaque moment passé avec mes deux garçons. Aucun cadeau ne pourra remplacer ce que les parents peuvent donner à leurs enfants : leur temps et leur attention. Le temps rempli d’affection, de joie, de rires et de conversations. De bons moments passés ensemble qui renforcent les liens et créent des souvenirs inoubliables tellement importants pour leur construction.

Mon mari répète souvent que le temps c’est de l’argent.L’argent, c’est important, mais l’amour c’est tellement plus important…

J’espère qu’il ne le regrettera pas un jour…

A m’asseoir sur un banc cinq minutes avec toi
Et regarder le soleil qui s’en va
Te parler du bon temps qui est mort et je m’en fous
Te dire que les méchants c’est pas nous
Que si moi je suis barge, ce n’est que de tes yeux
Car ils ont l’avantage d’être deux
Et entendre ton rire s’envoler aussi haut
Que s’envolent les cris des oiseaux
(« Mistral gagnant« , Renaud)

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