Moi, à ton âge…

Quelles que soient nos origines, quelle que soit notre personnalité, n’importe nos aspirations et projets. Tout le monde rêve d’amour. À n’importe quel âge.

Et qui dit amour, dit enfants et relations intergénérationnelles.

Lorsque j’approchais de la trentaine, mon père avait l’habitude de me dire « Moi, à ton âge, j’avais déjà trois enfants. » Je ne comprenais pas le but de ses propos ni quelle réaction voulait-il provoquer chez moi. Quelle satisfaction pouvait-il avoir à me le répéter inlassablement ? Était-ce une sorte de vantardise ? Comme si cela avait été un exploit pour lui d’avoir eu ses enfants à l’âge de 23, 26 et 29 ans… Quel exploit ?! Ou alors l’inquiétude que sa fille cadette n’ait toujours pas d’enfants tout comme sa fille aînée ?

À mes yeux c’était plutôt étonnant, et surtout très énervant, de l’entendre dire. Pour quelqu’un qui dix ans auparavant, lorsque j’avais vingt ans et j’étais étudiante à la fac, n’arrêtait pas de me dire de faire attention de ne pas tomber enceinte avant la fin de mes études. Pour lui avoir les enfants jeune voulait dire ne plus pouvoir profiter de la vie, ne plus pouvoir faire ce que l’on veut et aime faire. Je l’avais entendu le dire ou du moins le suggérer à maintes reprises.

« Sois prudente ! »

Et moi j’avais pris l’habitude de me boucher les oreilles lorsqu’il me parlait. Je ne voulais pas écouter ni entendre ce qu’il avait à me dire… une habitude d’adolescente qui rejetait tout ce qui venait de son père. Un jour je lui ai même répondu dans un excès de colère :

« Tu penses que c’est vraiment tellement grave qu’une jeune femme de 20 ans tombe enceinte ? As-tu pensé un seul instant à toutes ces femmes qui ne peuvent pas avoir d’enfants ? C’est cela un vrai drame ! »

Je ne le lui ai pas dit. Je le lui ai hurlé. En ajoutant « Si un jour je n’arrive pas à avoir d’enfants, on en reparlera… »

Prémonition ?

Bon. Mais malgré le fait de me boucher les oreilles lorsqu’il me parlait, cela ne m’a pas empêché d’attendre de cocher plusieurs cases – avoir un CDI, devenir propriétaire d’un appartement, me marier – avant de me lancer dans le projet « bébé ». Tout bien organisé. Bien préparé. Réfléchi. Voulu à 100 %. Pas beaucoup de place pour la spontanéité. Pas de place pour l’imprévu ni l’improvisation.

Contrôle total.

Et quelle naïveté ! Car l’arrivée d’un enfant fait perdre le contrôle amenant dans votre vie tout l’imprévu que vous vous êtes tellement efforcés d’éliminer. Et mon père ne devait pas savoir que l’âge des parents d’un nouveau-né ne les protégeait en rien contre cette sensation de perte de contrôle. Qu’ils aient 20, 30 ou 40 ans. Que vous ayez un CDI ou non, vous comprenez vite que la sécurité de votre bébé ne dépend pas de votre âge ni de la nature de votre contrat ni du métier que vous faites. Sa sécurité affective dépend de votre présence auprès de lui. De l’attention que vous lui donnez.

De l’amour qu’il ressent dans vos bras et votre regard.

Que vous soyez propriétaire d’une grande maison individuelle ou locataire d’un petit appartement, ce qui compte réellement pour ce petit être c’est la chaleur de l’ambiance qui y règne, c’est la sérénité des relations entre les personnes qui l’entourent. Vous, ses parents, et les autres membres de la famille qui vivent éventuellement sous le même toit. Que vous ayez porté une robe blanche ou pas, n’importe votre statut matrimonial. Si vous lui apprenez à avoir confiance en lui et contribuez à développer chez lui une bonne estime de soi, il saura assumer ce qu’il est et d’où il vient.

Ce n’est donc pas parce qu’on a 20, 30 ou 40 ans en devenant mère ou père, qu’on est prêt à le devenir. Un être humain est prêt à devenir parent non lorsqu’il gagne assez d’argent ou lorsqu’il a visité tous les pays du monde.

Il est prêt à devenir parent d’un autre être humain lorsqu’il est plein d’humanité.

Lorsque j’avais 20 ans, mon père avait aussi l’habitude de dire « Qu’est-ce que tu donnerais à manger à ton enfant si tu en avais un maintenant ? » Comme si élever un enfant se résumait à le nourrir. Il faut le nourrir, oui, d’affection, de tendresse, de bienveillance, de patience. Pour cela, une chose est indispensable : l’énergie. Beaucoup d’énergie vitale pour accueillir et accompagner ces petits qui, eux, débordent d’énergie.

Arriver à tenir leur rythme.

C’est pourquoi à la question « Quel est le meilleur âge pour avoir un enfant ? » je répondrais : À l’âge qui vous permettra d’avoir l’énergie nécessaire sur la durée. Non seulement au moment où l’enfant naîtra et sera bébé, certes c’est un travail physique s’occuper d’un bébé. Mais aussi l’énergie et la santé pour les quelques vingt années à venir. Voire plus. Jusqu’à son autonomie.

J’admire les personnes qui décident d’avoir un enfant sur le tard. Pour leur énergie et leur optimisme. Dans la plupart des cas ce sont des personnes qui prennent soin de leur santé. Et je suis persuadée que l’âge d’une personne est une question individuelle dépendant non seulement de la manière dont vous prenez soin de votre forme physique et psychique, mais aussi de votre héritage génétique et des aléas de la vie.

Mais j’entends parfois à la télé ces artistes, chanteurs, présentateurs télé, businessmans devenus pères sur le tard, à l’approche de la cinquantaine. Ils disent tous : « Mon objectif aujourd’hui est de vivre assez longtemps et en bonne santé pour voir mes enfants grandir et devenir adultes autonomes et épanouis. » Leur inquiétude semble réelle.

N’y ont-ils pas pensé avant ? Avaient-ils oublié qu’ils n’étaient pas immortels et qu’avoir un enfant était un engagement sur deux décennies ?

Personnellement j’ai décidé de ne plus en avoir après la quarantaine. Un certain nombre de personnes que je connaissais ont quitté ce monde prématurément aux alentours de leur 55 ans. Cancers. Maladies cardiovasculaires. Je ne voudrais pas prendre le risque de laisser derrière moi un enfant de quinze ans, ou plus jeune, si cela devait m’arriver.

Est-ce pessimiste, fataliste ?

Certainement très prudent…

Et au fond, et pour différentes raisons très personnelles, j’envie parfois les personnes qui ont eu le courage de devenir parents tôt au lieu d’attendre d’avoir coché toutes les cases dans le « bon » ordre.

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