Mieux vaut tard que jamais

« Notre influence grandit au moment où un rêve futur se transforme en une action présente. » (Steve Chandler)

Épidémie. L’annonce du confinement. J’ai une bouffée de chaleur à l’idée du cauchemar qui m’attend. J’entends ce que disent et répètent les médias, mais je ne veux pas y croire. Ce n’est pas possible. Je ne peux pas rester enfermée de longues semaines avec lui, sous le même toit, dans une ambiance anxiogène. J’essaie de me calmer. Il faut agir. Et vite…

[Histoire de lectrice]

Pendant que mon fils ado révise ses cours et mon amie prépare à manger, j’ai décidé d’écrire ces quelques lignes pour partager mon histoire avec d’autres femmes qui vivent ce que j’ai vécu. Pendant trop longtemps je me suis tue. Durant de longues années j’ai vécu avec un pervers narcissique. Ces années-là m’ont extrêmement épuisée. Moralement et physiquement.

Je me suis rendue compte assez tardivement que mon conjoint souffrait de troubles de la perversité narcissique. Je croyais qu’il s’agissait juste d’un “mauvais caractère”. Il y a trois ans à peu près, je suis tombée sur un reportage à ce sujet. Et je suis tombée des nues. Mon mari avait toutes les caractéristiques d’un pervers narcissique. J’ai commencé à chercher plus d’informations sur ce sujet, j’ai discuté avec des femmes sur divers forums et blogs, dont le partenaire souffrait de la même chose. Et j’ai compris qu’il n’y avait pas plusieurs solutions possibles pour moi.

Juste une seule. Partir. Vite et loin.

Dans le passé, à plusieurs reprises j’avais essayé de discuter avec mon conjoint de son comportement qui me blessait, qui m’anéantissait, et qui impactait également notre fils. Et sa réponse était toujours la même :

“C’est toi qui as un problème, pas moi. Tout ce qui nous arrive est de TA faute”.

Il me reprochait des choses absurdes, comme par exemple d’être fatiguée ou de ne pas faire le ménage à fond pendant que j’étais malade.  Rien de ce que je faisais n’était jamais assez bon pour lui : en matière de cuisine, d’éducation de notre enfant, la façon dont je m’habillais et bien d’autres. Je suis une personne instruite, je parle cinq langues et je sais tenir une conversation intéressante avec n’importe qui. Et pourtant mon mari me rabaissait régulièrement en se moquant de mon métier de traductrice.

Ses humeurs pouvaient changer d’une heure à l’autre. Le plus souvent je me retenais de dire ce que je pensais car je ne savais jamais quelle serait sa réaction. Et j’appréhendais ses réactions très violentes verbalement. Rien qu’à l’idée d’une nouvelle dispute ou qu’il fasse la tête pendant des semaines, je perdais toute envie d’essayer de présenter mon point de vue. De plus, plein de mauvaise foi, il changeait constamment d’avis. Comme s’il était amnésique. Sur tout et tout le monde. Très souvent il niait avoir dit quelque chose. Me répétait inlassablement que je perdais la tête ou que j’inventais des histoires.

Même planifier les vacances relevait d’un exploit. Un jour, nous avons décidé de partir dix jours au mois de juillet en Irlande. Je devais préparer l’itinéraire, identifier des hôtels, lister les endroits à visiter. Lui était chargé de réserver des vols. Eh bien, quelques jours après notre conversation, je lui ai demandé s’il avait trouvé des vols à prix intéressant. Il m’a regardé comme une folle :

 “Mais de quoi tu parles ? Tu ne crois quand même pas que j’irai passer les vacances dans un bled où il risque de pleuvoir tout le temps ? »

Il pouvait passer des semaines à ne pas nous adresser la parole, à notre fils et moi, ou au contraire à nous parler mais sur un ton hautain et désagréable. Pourtant, vu de l’extérieur c’était un homme charmant, gentil avec les voisins, toujours disponible et serviable. Toujours prêt à consacrer du temps à sa famille d’origine et ses amis. Il attachait beaucoup d’importance à l’image qu’il envoyait aux autres. Pourvu que tout le monde remarque combien il était bon et généreux. Et je vous épargne les détails les plus pénibles.

En revanche lorsque moi je demandais ne serait-ce qu’il s’occupe de notre fils une ou deux heures pendant le weekend, il ne pouvait jamais, il avait des choses à faire, c’est-à-dire regarder un film ou aller jouer au hockey. De manière générale il s’intéressait peu, voire pas du tout, à notre fils. Combien de fois je lui ai demandé de l’emmener faire du vélo ou tout simplement aller se balader au parc. Non, rien à faire. Monsieur était fatigué ou occupé.

Comment expliquer à un enfant que son père ne veut pas jouer avec lui ? Qu’il n’a jamais envie d’aller au cinéma ou faire de la trottinette ?

Surtout qu’à l’endroit où nous vivions il était tout à fait normal de voir des pères de famille faire des activités avec leurs enfants.

La tristesse était désormais mon état permanent, et en présence de mon mari j’étais constamment stressée. Je faisais très attention à ne pas dire un mot de travers pour ne pas l’énerver dans quel cas il avait tendance à crier sur notre fils. Je serrais les dents en me disant qu’un mauvais père valait mieux qu’une absence de père, étant donné que moi-même n’avais pas été élevée par mon père. Je supportais donc tout en me disant que c’était pour le bien de mon fils, mais aujourd’hui je sais que cela a fait plus de dégâts que de bien. En réalité le lien affectif entre mon enfant et son père était quasiment inexistant, ou s’il existait, il était toxique. Et au fond, je sais que la seule raison pour laquelle j’ai autant attendu, c’est surtout parce que j’avais peur.

J’avais peur. De sa réaction. De sa vengeance…

Mais je n’arrêtais pas d’y penser. De m’imaginer loin de lui. De me projeter dans une autre vie. C’était la seule chose que je m’autorisais, m’évader dans mes pensées. Partir dans un endroit lointain où il ne pourrait plus m’atteindre. Un endroit où je serai libre de mes mouvements.

Libre d’être moi-même.

L’idée faisait son chemin, mais je n’arrivais pas à passer le cap. Même pas après ce week-end passé chez ma meilleure amie, il y a un an. Elle me disait qu’une autre vie nous attendait ailleurs, plus sereine et plus épanouissante, pour mon enfant et moi. Elle était là, présente et bienveillante. Je ne sais pas ce que j’aurais fait sans elle pendant toutes ces années. Mais malgré ses précieux conseils, je n’arrivais toujours pas à prendre la décision ni à agir.

Et c’est finalement la vie qui a décidé à ma place.

Après l’annonce du confinement je n’ai pas dormi toute la nuit. Le matin, quand il est parti au travail pour une dernière réunion avant la fermeture des bureaux, j’ai aussitôt appelé mon amie. Ensuite j’ai rempli ma plus grande valise et demandé à mon fils s’il voulait me suivre…

Quatre semaines plus tard, le cauchemar des dernières années a donné place à de l’espoir. L’espoir que mon rêve devienne réalité. Depuis quatre semaines je me projette dans cette nouvelle vie à laquelle je suis en train de goûter. Sérénité. Légèreté. De longues discussions et fous rires avec mon amie. Je ne me souvenais plus à quel point la vie pouvait être simple et agréable. Je suis sur mon petit nuage loin de la transcendance maléfique de cet homme sur moi. Loin de son influence toxique et destructrice. Plus de pression. Plus de sentiment de culpabilité.

Quelle extraordinaire bouffée d’oxygène !

Et malgré cet horrible virus qui circule et qui tue, malgré le confinement que nous respectons scrupuleusement, je me sens enfin libre, apaisée, soulagée.

Notre nouvelle vie a commencé il y a un mois. Nous n’y retournerons plus. Et la première chose que je ferai à la fin du confinement, c’est de demander le divorce. Car je n’ai plus peur.

[Histoire de lectrice]