Où es-tu ma liberté chérie ?

Fin des études. Remise des diplômes.
Fierté. Enthousiasme. Bonheur.
Stage. CDD. CDI.

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Il est quatre heures du matin, je n’arrive toujours pas à m’endormir et je suis angoissée. Une sorte de boule me serre au niveau du plexus solaire. Encore trois heures et je devrai me préparer pour aller travailler. Je n’en ai aucune envie. Je déteste mon travail…

[Histoire de lectrice]

Les tâches sont tellement répétitives. J’ai perdu tout le plaisir à les réaliser
et pourtant au début j’aimais vraiment les missions qui m’étaient confiées.

Que s’est-t-il passé depuis ?

Je déteste ce travail et je ne supporte plus mes collègues avec qui je partage l’open-space. Hypocrites et superficiels, ils appellent ça la diplomatie… Mais je suis diplomate, moi ! Mais je ne suis pas insensible et les émotions que je ressens me disent que cette ambiance déshumanisée me tuera à petit feu. Je repense à tous ces voyages que j’ai pu faire encore étudiante. Aux sorties avec des amies, de plus en plus espacées.

Cinq heures. Ma joie de vivre et mon enthousiasme, où sont-ils passés ?

Essoufflement. A force de faire des heures supplémentaires pour terminer les tâches interminables… A force de rentrer chez moi juste pour dormir, rarement pour manger ou faire autre chose. A quand le dernier film que j’ai vu ? A quand le dernier bouquin que j’ai lu ? Et puis le tailleur et les talons aiguilles que je déteste tant ! Moi qui adore vadrouiller à droite à gauche en jean-baskets.

Six heures. Un vrai tourbillon dans ma tête.

Mais alors, qu’est-ce qui me retient dans cette boîte ? Je suis jeune, célibataire et je n’ai pas d’enfants. Aucune obligation, aucun compte à rendre. Pourquoi continuer à supporter ce qui ne me convient plus ? Je trouverai bien autre chose, juste un petit risque à prendre…

Et si j’appelais mon chef pour dire que je suis malade ? L’idée me tente beaucoup, mais je n’ose pas le faire. De plus si je reste quelques jours à la maison, le travail va s’accumuler et je serai encore obligée de faire des heures supplémentaires, non payées bien évidemment.

Sept heures. Je fais un énorme effort pour me lever.

Soudainement un mal de dos atroce m’envahit, j’arrive à peine à bouger. En fin de compte, me voilà obligée d’appeler mon chef pour lui dire que j’ai besoin de poser un demi-RTT pour consulter mon médecin traitant. Quand je sors de la maison une heure plus tard, le mal de dos est un souvenir lointain, mais je décide quand même d’aller à mon rendez-vous, le cœur lourd.

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Le cabinet se trouve au cœur de la capitale et c’est la première fois que je vais voir ce généraliste. Je ne suis jamais malade et je n’avais pas besoin d’un médecin traitant, mais la Sécurité Sociale m’a obligée à en trouver un. Je l’ai donc choisi au hasard, son nom de famille sonnait bien et puis son cabinet n’était pas trop loin de l’endroit où j’habitais.

La consultation commence, je lui explique pourquoi je suis là, mon mal de dos, mes difficultés à m’endormir, mon manque d’énergie. Je lui demande de me prescrire une prise de sang pour vérifier si je ne suis pas anémiée. Je lui demande aussi s’il faut que je voie un kiné ou un ostéopathe pour mon mal de dos de ce matin.

Il me regarde un instant et m’annonce :

« Mademoiselle, vous somatisez. Votre mal de dos a une cause psychologique, vous faites un burn-out. »

Ah bon ? Je tombe des nues. Je croyais que cela ne concernait que des personnes plus âgées que moi, genre la 40aine ou la 50aine, avec des années d’ancienneté dans l’entreprise et de grosses responsabilités professionnelles. Un burnout à mon âge sur un poste sans énormes responsabilités et avec à peine deux ans d’ancienneté ? De nature plutôt optimiste et peut-être un peu naïve, je suis quelqu’un qui croit toujours que les choses vont s’arranger rien qu’en patientant un peu. Je ne m’attendais pas du tout à un tel diagnostic, ça sonnait grave.

« Depuis le temps que tu dors
Ça fait des mois, des mois que tu hibernes
Que tu sors pas de ta caverne
T’as beau tout faire pour le cacher
Sous tes airs d’ours mal léché »
(« Speed« , Zazie)

Sans me poser de questions supplémentaires, d’autres patients attendent, il me prescrit un anxiolytique… Je vais un peu mieux pendant deux ou trois jours, cela m’a fait du bien d’en parler à quelqu’un, mais le ciel se réassombrit rapidement. Je décide d’aller à la pharmacie avec mon ordonnance, si ça peut m’aider à tenir au travail, pourquoi pas. Je commence le traitement prescrit. Je n’ai jamais pris d’anxiolytiques avant, je ne sais pas du tout à quoi m’attendre. Selon les propos du médecin « ça va m’aider à me sentir mieux ». Après quelques jours de prise de médicaments je remarque une différence. Je me trouve dans un état second où je me fiche de tout. Rien et personne n’a plus d’importance.

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Je dors beaucoup. Ça me change des insomnies d’avant. Mais j’ai aussi énormément de mal à me réveiller le matin. Plusieurs fois j’arrive au bureau à 10h30. Heureusement c’est le mois d’août, il n’y a pas grand monde dans les bureaux pour me fliquer. J’accomplis mes tâches très lentement. J’ai l’impression de jouer dans un film où quelqu’un a appuyé sur le bouton slow motion. Je passe aussi beaucoup de temps à fixer les murs ou l’écran de mon ordinateur. Cet état durera un mois environ.

A la fin de l’été, une amie m’interroge, très inquiète pour moi. Je lui raconte tout. Elle jette les médicaments et m’emmène de force voir un autre médecin qu’elle connaît bien. Il me préconise d’aller consulter un psychologue. Je ne le fais pas… Comme beaucoup de personnes dans mon état, j’ai une réponse toute faite : un psy, ça coûte cher et puis je ne suis pas folle… Aujourd’hui, je sais que j’aurais dû aller consulter un psychologue et entamer une thérapie.

Je regrette vraiment de ne pas l’avoir fait, cela m’aurait probablement aidée à supporter cette période extrêmement éprouvante et à surmonter mes difficultés…

Je travaillais pour un service qui était étroitement lié à un autre service avec lequel nous étions amenés à collaborer sans cesse. Hélas, les relations entre les deux services étaient très tendues déjà quand je suis arrivée dans l’entreprise, et cela se répercutait sur la charge et la qualité du travail. Nous devions régulièrement faire face aux retards causés par les autres et payer les pots cassés en restant très tard le soir ou encore ramener du boulot à la maison le soir et le week-end. Du classique. Le problème, c’est que ce n’était pas exceptionnel, mais récurrent, comme s’ils faisaient exprès de mettre en retard tous les projets. Sans parler des réunions auxquelles ils « oubliaient » de nous convier et des informations « erronées » qu’ils nous communiquaient ensuite.

Je le vivais très mal. Mes collègues démissionnaient un par un. Je rêvais de pouvoir faire la même chose, mais rien qu’à l’idée de devoir me présenter à un entretien, j’avais des nausées. Et je rentrais tellement tard que je n’avais même pas le temps ni l’énergie de regarder les annonces, ni pour écrire une lettre de motivation. Et pour pouvoir trouver autre chose, il aurait encore fallu que j’aie confiance en moi. Or depuis que j’avais intégré cette entreprise ma confiance en moi s’est complètement étiolée.

Plus je travaillais, plus j’avais l’impression d’être nulle dans ce que faisais. Et d’ailleurs une voix me disait que tout ce que je faisais ne servait à rien. Comme si personne ne voyait les efforts que je fournissais. Personne ne me disait que mon travail était utile. Et moi-même je ne voyais aucun sens, aucune valeur ajoutée dans toutes les tâches devenues mécaniques. Je me sentais écervelée et prise dans une spirale infernale qui me tirait de plus en plus vers le bas.

Oui, jaurais dû consulter un psy. Pour apprendre à trouver un équilibre entre ma vie professionnelle et ma vie personnelle. Pour apprendre à dire « non » à toutes ces heures supplémentaires. Pour apprendre à dépasser mon sentiment d’impuissance face aux situations conflictuelles avec l’autre service. Pour apprendre à relativiser et à me détendre.

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Et puis, un jour, j’ai atteint mes limites. Je n’ai pas pu me lever du lit et aller travailler. Incapable de bouger. Exténuée mentalement et physiquement. Je me suis rendue à l’évidence que les choses n’allaient pas s’arranger toutes seules. J’ai compris que je ne pouvais plus continuer à me faire violence de cette manière. Ma santé était tout ce que j’avais. Mon organisme parlait et j’ai enfin compris que je devais en prendre soin. Le jour même j’ai rédigé la lettre de démission…

Quel soulagement ! Pourquoi avoir attendu aussi longtemps ?!

J’ai enfin aperçu une lumière au bout du tunnel. J’allais enfin quitter cette cage dont je détenais les clés. J’allais retrouver ma liberté et ma joie de vivre. Les deux mois de préavis se sont relativement bien passés. J’ai pris beaucoup de distance par rapport au travail et aux gens. De toute façon je n’avais plus à travailler sur les projets « importants » ni à communiquer avec l’autre service. Et pour qu’ils me fichent tous la paix, j’ai annoncé que je partais pour un autre poste.

Le jour où je suis partie était le plus beau jour de ma vie de jeune célibataire.

Je suis partie légère, confiante et avec une conviction que je ne laisserais plus jamais une situation se dégrader à ce point. Je me suis promis de penser à moi et à mon bien-être en premier, une petite dose d’égoïsme ne fait pas de mal. Je ne savais pas encore que la vie me préparait de jolies rencontres et de belles opportunités qui n’aurait pas pu se produire si j’étais restée…

« Allez, debout, allez, sors
Je te sens battre au fond de moi
T’es pas tout neuf, mais pas si vieux
Non, t’es flambant vieux
Et tu speedes encore
Oui, tu speedes encore »
(« Speed« , Zazie)

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