Les racines et les ailes

« Moi aussi j’ai une fée chez moi
Depuis mes étagères elle regarde en l’air
La télévision en pensant que dehors c’est la guerre
Elle lit des périodiques divers
Et reste à la maison
À la fenêtre, comptant les heures »
Fée », Zaz)

J’ai découvert ce blog par hasard, en cherchant une information sur Internet. Je le trouve très intéressant, et aussi le fait de pouvoir y contribuer avec nos histoires. Voici la mienne.

[Histoire de lectrice]

J’ai passé la moitié de ma vie à faire plaisir aux autres, à repondre aux besoins des autres toujours au détriment des miens. Je ne pense pas que je le faisais par pur altruisme, c’était une sorte de mécanique qui m’a été inculquée depuis ma toute petite enfance. Une attitude à suivre absolument. D’abord il y avait mes parents, pour leur faire plaisir il fallait que j’aie de très bonnes notes à l’école. J’étais donc une élève assidue et studieuse. Je faisais de mon mieux pour ramener le meilleur bulletin scolaire.

De plus, j’entendais souvent « il faut que tout le monde t’aime » ou « fais ci ou fais ça pour faire plaisir à un tel » et je le faisais sans me demander si réellement j’en avais envie. J’ai grandi dans cet esprit là, toujours soucieuse de satisfaire les besoins ou souhaits divers et variés des autres. Même le choix de mes études m’a été « gentiment » imposé. « Ton papa va être très déçu si tu ne choisis pas ce qu’il veut que tu fasses comme études. Écoute, nous savons ce qui est bon pour toi… ». J’ai passé cinq ans de ma vie à étudier des matières que je n’aimais pas du tout, mais mes parents en étaient très fiers. Je ne les ai pas déçus.

Moi aussi j’ai une fée chez moi
Et lorsqu’elle prend son déjeuner
Elle fait un bruit avec ses ailes grillées
Et je sais bien qu’elle est déréglée »
Fée », Zaz)

Même plus tard, dans ma vie d’adulte je suivais le même schéma. Quand je me suis mariée et eu des enfants, tout naturellement ma famille nucléaire est devenue ma priorité absolue. Je dirais que je me suis complètement oubliée en tant que femme. Désormais j’étais une mère au foyer prête à faire tous les sacrifices pour satisfaire le monde entier, et surtout mon mari et mes enfants. J’étais le pilier indestructible de la famille. Nous étions heureux.

Quand mon mari a obtenu sa promotion tant attendue, nous avons décidé ensemble que je cesserais de travailler, pendant deux ou trois ans, pour m’occuper davantage de l’éducation de nos trois filles, à l’époque âgées de cinq ans et demi, quatre et deux ans. Cela a été un changement radical pour moi, je n’aurais jamais imaginé avant une telle charge de travail physique et mentale.

Le soir j’étais tellement épuisée que parfois je n’avais même plus de force pour prendre une douche. Ensuite, j’ai renoncé au sport, et les sorties avec les amies se faisaient très rares, le cinéma, les livres c’était du passé. Je passais des heures dans la cuisine à préparer les plats favoris de ma tribu (un plat différent pour chacun s’il vous plaît), sans oublier les courses, les activités extra-scolaires des deux de nos filles, le ménage & Cie.

Mon mari rentrait à la maison de plus en plus tard. Nous ne nous voyions et discutions que les week-ends, s’il n’était pas en voyage d’affaires. J’ai fonctionné de cette manière pendant deux longues années au bout desquelles je me suis rendue à l’évidence : j’étais très frustrée et cela me rendait aigrie et malheureuse. Pour la première fois de ma vie je me suis arrêtée et posée la question : « Est-ce que je veux vraiment vivre ainsi ? ».

« Moi aussi j’ai une fée chez moi
Et sa traîne est brulée
Elle doit bien savoir qu’elle ne peut pas
Ne pourra jamais plus voler »
(« Fée », Zaz)

Auparavant, je ne me posais jamais ce genre de questions. La réponse, bien évidemment a été NON. Je crois que c’est à ce moment-là que j’ai commencé à réaliser que tout ce que je faisais pendant des années, depuis mon enfance, c’était pour faire plaisir exclusivement aux autres et jamais pour moi-même. Je l‘ai payé au prix fort, le prix de l’oubli de soi-même, et le réaliser m’a fait extrêmement mal.

J’en veux énormément à mes parents de m’avoir enseigné cette attitude, de m’avoir façonnée ainsi. Aujourd’hui, malheureusement, ils ne sont plus là pour que je puisse évoquer ce sujet avec eux. Ceci dit, je leur suis très reconnaissante du cadre sécurisant et de leur affection dont je n’ai jamais manqué dans mon enfance et mon adolescence. Peut-être un peu trop sécurisant, trop rigide, des racines très profondes…

Quand j’ai réalisé que j’avais un vrai problème, j’ai cherché de l’aide, d’abord chez une psychologue (hélas, le courant n’est pas passé entre nous, donc j’ai renoncé à la voir). Ensuite chez une coach de vie trouvée sur Internet qui faisait des sessions à distance, ce qui me convenait très bien. J’ai commencé un long travail sur les limites imposées par les autres et par moi-même… C’est comme cela que j’ai enfin accepté d’aller à la découverte de mon intérieur profond, de mes vrais besoins et envies, de mes désirs, de mon vrai moi.

Mon mari m’a soutenue dans cette démarche, il a compris que c’était vital pour moi et pour notre famille, mais aussi pour notre couple. Nous avons remanié la façon dont la famille fonctionnait jusque-là. J’ai redécouvert un homme formidable à mes côtés qui m’aide au quotidien. Aujourd’hui ma vie a diamétralement changé, je suis comblée, j’ose enfin faire ce qui me plaît et surtout me faire plaisir. Pour commencer, j’ai fait une reconversion professionnelle, je travaille à mi-temps en télé-travail pour une société internationale (je parle couramment plusieurs langues). J’adore mon nouveau métier. Nous avons embauchée une aide à domicile qui fait quelques heures de ménage par semaine.

Et puis je consacre aussi le temps à mes hobbies, surtout à la peinture, c’est très libérateur. A travers la peinture j’exprime mes pensées, mes angoisses et mes joies. C’est mieux que la méditation et toutes les techniques de relaxation que j’ai pu essayer auparavant. Petit-à-petit j’apprends à me faire plaisir. Parfois je culpabilise encore, mais ce sentiment de culpabilité est de moins en moins présent.

« D’autres ont essayé avant elle
Avant toi une autre était là
Je l’ai trouvée repliée sous ses ailes
Et j’ai cru qu’elle avait froid »
Fée », Zaz)

Je suis consciente qu’il reste encore un bout de chemin à parcourir, mais je suis persuadée que je suis sur la bonne voie. Je vais aller jusqu’au bout pour moi-même et pour mes filles. Je veux leur montrer qu’elles peuvent dire NON aux exigences venant de l’extérieur, sans avoir peur de déplaire ou de se sentir rejetées. Je voudrais qu’elles prennent soin de leur vie intérieure, qu’elles sachent sa faire plaisir et qu’elles osent être elles-mêmes.

Tous les jours je leur dis que je suis très fière d’elles, qu’elles peuvent devenir ce qu’elles veulent et que je ne m’opposerai jamais à leurs choix de vie. Et surtout j’aimerais qu’elles n’oublient jamais que le plus important est ce qu’elles sont vraiment et non ce que les autres pensent d’elles. Qu’elles soient libres dans leur tête.

« Moi aussi j’ai une fée chez moi
qui voudrait voler mais ne le peut pas… »
Fée », Zaz)

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