Ma vie en l’air…

« J’ai bouclé mes bagages car je pars aujourd’hui. J’aime te regarder quand tu dors. Je n’ose pas te réveiller pour te dire au revoir… » (« Armageddon »)

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Pourquoi je me retrouve encore dans un p… d’avion ?! Je ne supporte pas l’avion !

Une fois à l’intérieur, j’ai des crises d’angoisse. À l’arrière encore ça passe à peu près, on ressent moins les secousses et les turbulences. Et apparemment, lors d’un crache, les passagers assis près de la queue ont plus de chance de survivre. Après, cela ne doit pas être très drôle de survivre à un crash aérien…

Et comme par hasard je suis encore à côté d’une aile, et je ressens la moindre secousse, les mouvements des ailes… Et même le sol de l’avion bouge et fait bouger ses parois lorsque les passagers font de nombreux allers-retours. Et certains ont la bougeotte… Je ne sais pas où ils vont, mais ils se déplacent sans cesse.

Font-ils leur nombre de pas quotidiens avec le compteur de pas au poignet ? Très pratique dans le couloir étroit d’avion.

Ça secoue encore. Je regarde les réactions de l’équipage. Est-ce qu’ils gardent leur calme ? J’ai entendu dire que lorsque les membres de l’équipage ne sont plus disponibles, lorsqu’on ne les voit plus, cela veut dire qu’il y a un problème… Rien qu’à cette idée, j’ai des nausées et envie de vomir. On ne survole pas un océan et pourtant l’avion ondule comme s’il était en plastique mou. Je n’ai jamais rien compris aux lois de la physique, peut-être que m’intéresser au sujet et lire un peu dessus m’aiderait à comprendre ce qui se passe…

Allez, c’est décidé ! C’est la dernière fois que je prends un avion. A partir de maintenant il n’a qu’à venir me voir dans mon pays.

C’est ce que je me dis à chaque fois quand ça secoue comme ça, mais une fois rentrée chez moi, je regarde les dates possibles pour la fois d’après. Il faut être masochiste pour prendre l’avion aussi souvent lorsqu’on déteste le faire. Ou aimer très fort la personne pour qui on le fait…

« C’est ma vie
Et je l’envoie en l’air
Tant qu’il est temps
Qu’il est temps
Tant qu’il est encore temps
De changer
Voilà je change d’air »
Ma vie en l’air », Jeanne Cherhal)

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Je rêve d’être déjà au sol. Tous mes sens sont exacerbés. Un bébé pleure. Un objet tombe par terre. Cela augmente mon niveau de stress et accentue mon angoisse. Ma voisine de siège n’arrête pas de grignoter des bonbons en froissons les petits papiers qui font beaucoup de bruit. Comment peut-on se gaver de bonbons quand ce p… d’avion n’arrête pas d’onduler en haut et en bas, en haut et en bas…

C’est insupportable ! L’avion et les bonbons !

Et ce manque de contrôle. Moi qui ai toujours besoin de tout contrôler, je ne contrôle plus rien. Je deviens limite claustrophobe. J’aimerais être dans la cabine de pilote et voir ce qu’il fait. C’est aberrant, je sais. Pourquoi le pilote ne parle pas aux passagers quand ça secoue pour les rassurer ? Je ne comprends pas. Il nous parle au début et aussi vers la fin de la croisière, mais jamais quand ça secoue.

Elle avale encore un bonbon. J’ai envie de hurler. « Regarde, on ne contrôle plus rien, ça secoue comme pas possible et tu ne penses qu’à bouffer des bonbons ? Fais plutôt une prière ! »

« La société dans laquelle on est ressemble à une espèce d’avion de ligne ou tous les voyants seraient au rouge dans le cockpit et qu’à l’arrière on continue soit à boire du champagne soit éventuellement à se quereller. » (Nicolas Hulot)

Ça tangue comme pas possible. Ma voisine de siège l’a enfin remarqué. Elle dit que c’est « alerte orange vent violent » à Paris… Mais soit le pilote est un stagiaire, soit c’est un nerveux à l’affût de sensations fortes (je lui en toucherai un mot en sortant de l’avion s’il arrive finalement à atterrir), soit nous sommes en train de nous cracher.

Combien d’allers-retours ai-je déjà faits pour voir mon amoureux ?

Je ne compte plus. Sans parler des billets d’avion qui coûtent relativement cher, à chaque fois la même sensation d’en faire trop sans même être sûre que notre relation a de l’avenir. Comment continuer à nous aimer à distance dans ces conditions ? Certes l’éloignement renforce le feu qui nous anime et les retrouvailles sont toujours si délicieuses. Mais à force cela devient usant, ce manque permanent, ce quotidien que nous ne pouvons pas partager, cette angoisse que je ressens à chaque fois que je prends l’avion. Et je ne peux même pas envisager d’avoir un enfant avec lui.

Comment élever un enfant avec un père absent, éloigné géographiquement ?

Et prendre l’avion avec un bébé relève d’un exploit. J’observe toutes ces mamans qui se débattent avec leurs nombreux sacs et le porte-bébé. Qui se démènent pour calmer le petit lorsqu’il se met à hurler au décollage et à l’atterrissage. Qui sont obligés de faire des allers-retours incessants dans le couloir de l’avion (ah voilà, j’ai la réponse pour la question d’avant !) pour satisfaire le besoin de bouger des plus grands qui apprennent à marcher. Carrément mission impossible… Déjà seule c’est compliqué, inenvisageable de le faire avec un enfant. Et surtout de l’élever toute seule…

Un prix relativement élevé pour entretenir un amour.

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Et encore tous ces retards de vol. Quelques annulations et les emmerdes pour trouver une place sur un autre vol. Ou une nuit passée à l’aéroport. Une femme enceinte qui a dormi sur une banquette. Une vraie galère. Au nom de quoi ? De quelques moments de volupté et quelques mots tendres ? Et si nous n’étions pas faits l’un pour l’autre ? Notre amour est-il réel ou ce n’est qu’une illusion l’espace de mes séjours chez lui ? Et ensuite la vraie vie reprend de plus belle. Et si les disputes qu’il nous arrive parfois d’avoir la veille de mon départ étaient un signe ?

Impossible de continuer de la sorte. Mais si c’est ça ou rien ?

« Tout s’annonçait si différent
Tout nous semblait un peu plus grand
On aurait dû se réveiller
Sur le même oreiller
Sans jamais se lasser »
Ma vie en l’air », Jeanne Cherhal)

J’hésite à demander au steward de me donner un calmant. Pourquoi n’en ai-je jamais sur moi ?! De toute façon le temps qu’il agisse, nous serons déjà en bas, crachés ou pas. J’aimerais qu’il soit là, qu’il me tienne la main, qu’il me rassure (mon amoureux, pas le steward, hein ;-p). Quand je vais mal, j’ai l’habitude de l’appeler. Mais là c’est impossible, mode avion oblige.

Et si c’était le début de la fin ?

Toutes les contraintes commencent à me peser vraiment. Ou alors c’est le signe que l’un de nous deux devrait enfin prendre la décision. La décision de tout plaquer pour aller vivre chez l’autre. Quitter la famille, les amis, le travail… Cet amour en vaut-il réellement la peine ? Une fois ensemble arriverons-nous à l’apprécier, à en profiter autant que maintenant ? Et si sa beauté et sa force ne résidaient que dans l’éloignement et que tout allait se gâcher dès que nous nous installerions ensemble pour de bon…

Une dernière secousse très violente qui me sort de mes réflexions. Ouf, nous sommes au sol, mais c’était très éprouvant. Les autres voyageurs ont aussi l’air soulagés. Je ne suis donc pas la seule à avoir vécu un long moment de panique et de solitude. Certains applaudissent. D’autres appellent déjà leurs proches pour les prévenir que tout va bien. Je n’appelle personne. Je reste seule avec mes questions et mes craintes…

Suis-je condamnée à me retrouver seule ou à chercher l’amour plus près ?

« Voilà je change d’air
Si tu me fuis
Je te suis
Tu me suis
Je te fuis
C’est ma vie
Et je la veux en l’air
Mon amour passerons-nous l’hiver ? »
Ma vie en l’air », Jeanne Cherhal)

***

Des années plus tard. Je fais le même trajet. Ça secoue. Je caresse la tête de mon fils posée sur mes genoux. Il aura bientôt deux ans et dort paisiblement. Nous allons rendre visite à ses grands-parents et son arrière-grand-mère qu’il n’a pas vus depuis six mois. Les quelques jours qu’il passera avec eux valent tellement plus que les photos que nous échangeons régulièrement. Et il est encore trop petit pour apprécier les visios sur Skype. C’est la génération des « enfants digitaux », mais surtout des petits voyageurs nés.

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Je ne pense qu’à son bien-être à lui. J’arrive à oublier mes angoisses. Je ne veux surtout pas les lui transmettre. Ni à son petit frère qui naîtra six mois plus tard. Je caresse  mon ventre…

 

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