« Maman s’il te plaît arrête de pleurer, je ne peux pas supporter ce bruit
Ta douleur est douloureuse et ça me déchire
J’entends des verres se briser alors que je m’assois sur mon lit
J’ai dit à papa que tu ne pensais pas toutes ces choses horribles que tu as dites » (« Family Portrait », Pink)
Quelques années en arrière, je suis une jeune mariée, mais je n’ai pas encore d’enfants. J’essaie de tomber enceinte, cela ne marche pas. Une collègue d’un autre service, avec qui je travaille de temps en temps et ce jour-là nous avons un point d’avancement, n’a pas l’air très en forme. Nous ne sommes pas du tout amies, ni même copines, mais je lui demande ce qui ne va pas. Elle m’annonce qu’elle va divorcer…
Elle est mariée, maman d’une petite fille et elle en a marre de son mari qui ne s’intéresse plus à elle. Il est devenu papa poule et n’a plus d’yeux que pour leur petite fille. Lorsqu’ils vont au restaurant en confiant leur fille aux grands-parents, lui n’arrête pas de regarder le téléphone, inquiet que quelque chose ne soit arrivé à la petite. Vis-à-vis de sa femme, ma collègue, il est devenu extrêmement exigeant en ce qui concerne l’éducation de leur fille. Il contrôle tout ce qu’elle fait et tout ce qu’elle dit en présence de leur enfant…
« Je n’en peux plus d’avoir un mari qui ne me vois plus, je suis devenue complètement transparente pour lui et je suis très fatiguée… » me confie-t-elle.
C’est une très belle femme, tous les collègues hommes le disent, et les femmes l’envient secrètement. Elle a de grands yeux noirs extraordinairement profonds et un corps de déesse. Une nana gâtée par la nature, hyper bien foutue et qui sait se mettre en valeur en mettant des chemisiers légèrement transparents, des jupes bien ajustées et toujours de jolis escarpins à talons aiguilles. Tout en restant très élégante. Une jeune femme avec beaucoup de classe, avec en plus un caractère bien affirmé, elle sait ce qu’elle veut.
Donc elle a décidé de partir car elle a rencontré quelqu’un d’autre.
Ce jour-là, je ne comprends pas. Je ne la comprends pas. J’ai du mal à trouver les mots pour la consoler. Je n’y arrive pas. Elle est maman, je ne comprends pas comment une mère puisse penser en priorité à son bien-être, plutôt qu’à l’équilibre de sa petite fille. Comment peut-elle privilégier son épanouissement auprès de quelqu’un d’autre au lieu d’essayer de rétablir un équilibre au sein de son foyer. De plus son mari a l’air d’être un bon papa, le rêve de tellement de femmes, une raison de plus de rester…
Deux ans plus tard, je viens de devenir maman, j’apprends que ma collègue s’est remariée et qu’elle n’a pas la garde de sa fille. C’est son ex-mari qui s’occupe de la petite la plupart du temps. Je suis abasourdie. À nouveau, je ne comprends pas. Comment une mère peut-elle « abandonner » son enfant, ne pas vouloir le garder près de soi ? Et pourtant c’est une jeune femme très intelligente. A ce moment-là, je me dis que c’est une carriériste qui ne pense qu’à son travail, qu’elle ne peut pas être humaine…
Quelque temps plus tard, j’ai déjà mes deux enfants, et j’en ai marre de ma vie de maman. Je suis en plein burn-out professionnel et maternel qui durera plusieurs mois, suivis d’un épuisement total de mes forces physiques et psychiques. Je rêve de tout laisser tomber et de partir. Je repense à ma collègue. Oh, comme je la comprends à ce moment-là !
Ce manque d’attention dont elle parlait de la part de son conjoint. Pas d’échange, pas de partage, pas d’écoute. Le mien n’arrête pas de me tourner autour, pour satisfaire ses besoins sexuels, mais ce n’est pas ce que je veux, ce n’est pas ce dont j’ai envie. J’ai des besoins affectifs, moi. Je suis un être sensible dont l’existence ne se limite pas aux aspects corporels. J’ai besoin d’un peu d’humanité de sa part, sortir de ce mode automatique, pragmatique, cartésien dans lequel nous vivons depuis quelque temps. Tout est réglé comme dans une horloge suisse, pas de place pour du nouveau, aucune inventivité, zéro improvisation, pas de surprise. Les seules discussions tournent autour de l’argent et de l’éducation des enfants. La routine a tué toute la beauté et toute la magie de notre quotidien.
Ce n’est pas une vie ça !
Cela faisait plusieurs mois, voire plusieurs années, je ne sais plus trop depuis quand exactement, que je n’arrêtais pas de me dire, de me persuader, que je n’étais pas quelqu’un de câlin ni d’affectueux. Que j’étais une femme forte et indépendante qui pouvais satisfaire seule tous ces besoins, dans ma bulle, moi et mes enfants. Pas la peine de faire attention à moi. Si je veux un câlin, j’ai mes deux enfants. Ils me comblent. J’étais persuadée qu’ils me comblaient.
Mais était-ce vraiment moi ? Serais-je devenue juste une mère et cessé d’être une femme ? Est-ce vraiment inévitable pour une femme mariée avec enfants de devoir se sacrifier, renoncer à ses besoins affectifs, renoncer au besoin de communication, renoncer à la présence d’un autre adulte, attentif et empathique…
Cette fois-ci, je m’accrocherai de toutes mes forces pour dépasser tout cela, je m’en sortirai, tant bien que mal. Je ne partirai pas…
Quelle force et quel courage faut-il avoir pour rester ?
Je me suis toujours interrogée sur le mariage de mes parents. Ils sont restés ensemble malgré toutes les tempêtes. Pour nous, pour leurs enfants. Mais à quel prix ? Était-ce vraiment la peine ? Je ne suis pas enfant de parents divorcés, donc je ne sais pas comment c’est d’être enfant de parents divorcés. Et puis, chaque divorce est différent. Chaque être humain est unique : chaque femme, chaque homme et chaque enfant. Donc chaque histoire est forcément différente, impossible de comprendre, inutile de juger. Quoi que l’on puisse dire à ce sujet, ce seront toujours des généralités…
« Elle est partie pour un autre, cette femme est mauvaise.
Elle a abandonné son enfant, c’est une mauvaise mère… »
NON, CE N’EST PAS SI SIMPLE QUE CELA.
Les violences faites aux femmes, physiques et psychologiques, on n’en parle pas assez. On ne se questionne jamais sur ce qui s’est réellement passé dans un couple, lorsqu’une femme quitte son foyer. Comme une biche blessée. Pas mauvaise. Non. Blessée. Et d’autres encore qui partent et se battent pour pouvoir garder les enfants, mais n’ont pas assez d’argent pour prendre un bon avocat, ou n’ont pas de moyens pour les élever tout simplement. Celles qui, pour des raisons matérielles, doivent accepter les règles du jeu imposés par le père de leurs enfants, animé par son amour-propre bafoué ou par son envie de vengeance. Celles qui se retrouvent dans la précarité laissant complètement insensible ce dernier. Celles qui subissent des persécutions et des violences, mêmes après être parties. N’importe tous les efforts qu’elles aient pu faire avant de partir, pour les enfants et pour lui aussi… Elles prennent de gros risques.
Quelle force et quel courage faut-il avoir pour partir ?
Et puis, il y a aussi celles qui restent et partent en même temps. Elles restent physiquement, mais dans leur tête elles ne sont plus là. Elles habillent les enfants, leur préparent à manger, les amènent à l’école, les couchent… Parfois elles font un câlin, lorsque l’enfant le réclame, mais n‘en prennent jamais l’initiative. Leur présence n’est pas entière. Tristes. Absentes. Éteintes. Vides. Malheureuses. Elles pleurent en cachette. Mais les enfants le savent et voudraient juste que leur maman soit un peu plus là, un peu plus heureuse, un peu plus souriante. Que leur maman soit peut-être moins présente physiquement, mais plus présente affectivement. Car ce n’est pas la quantité du temps passé avec les enfants qui compte, mais sa qualité, son intensité, sa véracité…
« Tu te bats pour l’argent, pour moi et pour mon frère
Et je rentre chez moi là, c’est mon abri
Ce n’est pas facile de grandir dans la troisième guerre mondiale
Sans jamais savoir ce que pourrait être l’amour, tu vois
Je ne veux pas que l’amour me détruise
Comme il l’a fait pour ma famille »
(« Family Portrait », Pink)
Quel courage faut-il avoir pour rester ? Quel courage faut-il avoir pour partir ?
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