J’aurais voulu être un artiste

J’ai quinze ans. Une copine, elle majeure, me propose de partir en juillet dans la montagne pour faire de la randonnée avec son copain et un cousin à lui…

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Sac-à-dos, pas des plus légers à l’époque, sac de couchage. Baskets à peu près confortables. J’ai toujours eu une âme d’aventurière. L’idée me plaît énormément. J’ai l’habitude de partir en colonie et en classe verte depuis l’âge de cinq ans, mais un voyage improvisé en pleine nature, je n’en ai jamais fait ! Normal vu mon jeune âge.

Je suis emballée comme jamais, ce sera génial !

J’en parle timidement à mes parents. Le « non » de ma mère est catégorique. Pas de discussion possible. Mes arguments ne l’intéressent pas.

Mon père est d’accord. Au contraire, lui-même a fait de l’auto-stop à mon âge.

« Vas-y ma fille ! Apprends à te débrouiller. »

Heureusement pour moi, il n’est jamais d’accord avec ma mère. Question de contradiction ou de confiance, n’importe. Connaissons-nous suffisamment nos enfants au point de pouvoir leur faire confiance lorsque le moment arrive ?

Je partirai donc. Quinze jours à vagabonder dans les montagnes d’un pays voisin. À marcher. À dormir à la belle étoile. À se laver dans une rivière.

Et tomber amoureuse…

Il fait magnifiquement beau pendant toute la durée de notre aventure. Les ruines d’un château, c’est extraordinaire pour faire un feu de camp et admirer le lever du soleil…

Je n’appellerai pas ma mère. Nous n’avons pas de téléphone fixe à la maison et les portables n’existent pas encore. Je ne penserai pas à l’appeler à son travail… Je ne me rappelle même pas si j’avais assez d’argent sur moi pour pouvoir l’appeler. Priorité à l’essentiel : quelque chose à manger et des bières à volonté car c’est la canicule !

Je pense que la crise d’adolescence est très similaire à la crise de la quarantaine.

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La liberté.

Rien ne compte. Ni le passé. Ni le futur. Juste le moment présent. Dans l’euphorie ou dans la peine. N’importe. La nature. Le soleil. Les amis. Les rencontres. Que vouloir de plus !?

Je rentrerai à la maison enrichie de cette expérience.
Heureuse. Comblée de bonheur.
Ma mère cassera mon état de béatitude avec son regard sombre.
Son regard accusateur.
Elle ne me demandera pas comment c’était.
Elle ne me dira pas de raconter.
Juste ce reproche dans ses yeux d’être partie sans son accord, de ne pas l’avoir appelée.

Reproche d’être heureuse.

Pourquoi les adultes ont tellement de mal à accepter le bonheur de leurs enfants et les chemins qui peuvent mener à ce bonheur ? Si nous n’apprenons pas aux enfants à être heureux, sauront-ils l’être une fois adultes ? Si nous n’apprenons pas à leur faire confiance, comment vouloir qu’ils aient confiance en eux ?

Mon père avait complètement raison de me laisser partir, d’écouter mon instinct me poussant à saisir cette opportunité. En revanche il aimera moins mon nouveau copain de dix ans mon aîné avec qui je sortirai pendant un an… Mais je n’ai que seize ans, trop jeune pour renoncer à ma liberté tout juste acquise.

Je ne suis pas encore finie. Je me cherche. Je me construis.

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Mes enfants. Je veux qu’ils soient heureux. À leur manière à eux. Je veux qu’ils s’accomplissent dans ce qu’ils font le mieux et dans ce qu’ils aiment le plus.

Un bon métier bien payé ? Non. Un métier qui corresponde à leur tempérament et à leurs aspirations profondes ? Oui.

Est-ce qu’un aventurier, un fou-furieux, peut être heureux dans un cabinet d’avocat ?

Oui ? Non ?

Et si j’y ajoute qu’il adore parler, avoir l’attention sur lui et qu’il a un très fort sens de la justice ?

Est-ce qu’un poète ultrasensible peut être heureux sur un poste de trader dans une banque ?

Oui ? Non ?

Et si j’y ajoute qu’il a hérité de son père l’amour des chiffres et que son tempérament calme cache bien une capacité de réaction digne d’un urgentiste ?

Des chemins non déterminés et des choix pas faciles.
La beauté de la vie pleine de surprises à condition de ne pas leur couper les ailes. Savoir leur apprendre à voler de leurs propres ailes, cela devrait être la mission de chaque parent.

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« Tu ne peux pas vivre de ton blog. »

La phrase qui résonne dans ma tête. Ils me le diraient, s’ils étaient au courant.

« Si, si, si !
Je le crie haut et fort.
Je vivrai de mon blog.
Je vivrai de mon écriture. »

Car je VIS déjà grâce à mon blog. Je vis pleinement. Comblée et heureuse de cette nouvelle liberté d’exprimer tout ce que j’ai gardé pour moi pendant presque quarante ans, la liberté comme celle lorsque j’avais seize ans.

Mais si vous ne pouvez pas le faire pour vous, ce changement de cap, faites-le pour vos enfants. Car ils ne pourront déployer leurs ailes que si vous leur en donnez les moyens.

Combien d’enfants n’exprimeront jamais leurs talents ? Talent musical ? Sportif ? Artistique ? Ou tout autre talent créatif… Les parents trop occupés à travailler et accaparés par leurs problèmes, et qui ne se rendent pas compte que leur enfant possède un talent. Les profs qui font le burn-out et n’arrivent plus à repérer le potentiel de leurs élèves…

L’être humain, sans son élan créatif, est tellement pauvre. L’être humain qui ne donne rien aux autres, ni de son amour, ni de son être, ni de sa créativité. Un être humain qui se contente de survivre, de respirer, de manger et d’accomplir ses autres besoins physiologiques.

Je trouve cela vraiment triste.

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Nous cherchons toutes et tous à combler notre vide existentiel. Mais seulement certains parmi nous ont compris que nous ne le comblerons pas en prenant, mais en donnant. Le vide existentiel ne peut être comblé qu’à travers le don de soi.

Créez, sculptez, dessinez, écrivez, chantez, dansez, voyagez, donnez, aimez… Comme les enfants.

Pour moi, c’est ce qu’on appelle le comble du bonheur.

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