Mon meilleur ennemi… première partie

“Nous habitons notre corps bien avant de le penser.” (Albert Camus)

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« Maman, est-ce que tu t’es bien reposée », mon fils aîné est rentré de sa colonie d’hiver. Il part en colo depuis qu’il a eu cinq ans et demi…

Il ne part pas pour que je me repose, mais pour faire le plein d’activités, se défouler, se faire des copains et profiter de sa liberté. Et surtout cela lui correspond parfaitement, à son tempérament très sociable et exubérant, son besoin de se dépenser physiquement et son envie d’aventure…

Un dimanche d’automne, les garçons et leur papa rentrent de leur balade matinale qui a duré deux heures « Tu t’es bien reposée ? » Même question cette fois-ci de la part de ma moitié. Hum, comment te dire. J’ai pendu la lessive, j’ai écrit des e-mails administratifs et j’ai fait à manger… Il me répond quelque chose, mais je n’arrive plus à entendre ce qu’il dit car les enfants ont commencé une énième bagarre en criant très fort. Ce bruit permanent, ces cris incessantes, c’est vraiment usant à la longue. Surtout que j’avais du mal à lâcher prise et cela me mettait hors de moi. Je leur criais dessus et cela m’épuisait encore plus, mentalement et physiquement.

Non, les deux heures de calme sans eux n’étaient pas suffisantes pour régénérer mes forces étiolées au fil des années. Deux grossesses. Deux allaitements prolongés. Le harcèlement au travail. De longues années de nuits morcelées par les nombreux réveils des enfants et à cause du cododo. Aucune aide de la part de la famille. Non, une journée entière ne serait pas suffisante pour récupérer. Ni une semaine d’ailleurs. Un mois peut-être ?

Mais quelle mère de famille peut se permettre de partir un mois entier sans ses enfants.

C’est difficile à imaginer, mais au fond je pense qu’un mois de vacances par an (loin de tout, entre copines encore mieux) pour chaque mère ne serait pas un luxe dans notre société qui nous impose de péter la forme, d’être souriantes et minces…

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« Toi, t’es mince, tu n’as pas besoin de faire attention à ce que tu manges… »

Toutes les fois que j’ai pu entendre cette phrase dite de manière plus ou moins envieuse. Oui et non. J’étais une fausse mince. J’appelais cela « être au régime à vie ». Grosse dans ma tête pendant très longtemps. Grand-mère maternelle en fort embonpoint et diabétique. La même chose pour ma maman. Au fil du temps son embonpoint se transformera en obésité, lui causant de très nombreux problèmes de santé dès l’âge de quarante ans. Un lourd héritage génétique et un véritable bagage psychologique depuis mon enfance. Mauvaises habitudes alimentaires, trop de gras, trop de sucré, trop de tout. Grignotage à toute heure, c’est culturel. Je me rebellerai à l’adolescence, j’ai décidé de prendre les choses en mains, je deviendrai végétarienne. C’est la guéguerre avec toute la famille et surtout avec ma mère.

Incompréhension générale.

Dans ma tête, à l’époque, je suis condamnée par la nature à suivre le chemin de ma mère et de ma grand-mère. Connaissez-vous le naturalisme de Zola ? La théorie selon laquelle nous sommes déterminés physiologiquement et de manière héréditaire à développer les « tares familiales » et qu’il n’y a rien à faire pour changer notre destin sur ce plan. Eh bien moi, j’ai décidé de lutter contre la nature, je vous montrerai que c’est possible, disait l’ado que j’étais. Et j’allais à contre-courant en puisant dans ma force mentale pour ne pas manger une énième part de pâtisserie bien crémeuse lors d’un énième anniversaire dans la famille… Le matin, pendant que toute la famille prenait un petit déjeuner digne d’un bon english breakfast, pour moi c’était muesli, yaourt, fruits, miel… Je me préparais aussi mes petits plats végétariens à midi et le soir.

A cette époque-là, il m’arrivait de compter le nombre de calories avalées, mais mon objectif principal n’était pas de perdre du poids, mais de sortir du lot, décider de ma vie, ne serait-ce qu’à travers ce que je mangeais.

Un très bon début pour m’émanciper.

Car je pense que ce que nous mangeons est très symbolique des relations que nous entretenons non seulement avec nous-mêmes et notre corps, mais aussi des relations que nous entretenons avec autrui, notamment notre famille d’origine.

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Au fil des années, mon équilibre alimentaire cessera d’être un combat de tous les jours et deviendra ma seconde nature, surtout après mon arrivée en France. C’est une sorte de reprogrammation du cerveau. Le travail réalisé principalement sur le mental et non sur le physique. Tous les régimes minceurs qui se concentrent sur les le corps uniquement mènent inévitablement à l’effet yoyo. Pour modifier ses habitudes alimentaires, il faut s’attaquer aux sources, aux habitudes et surtout aux problèmes du passé…

Un jour j’ai constaté que je n’étais plus une fausse mince, mais une vraie (pas maigre non plus), en mangeant de tout, mais sans excès. Venue d’où je viens, c’est un énorme succès personnel qu’a été de faire converger mes deux images : intérieure et extérieure.

Je suis redevenue amie de mon corps, et je reviens de très loin. Avant je le supportais plutôt que de l’aimer. Depuis l’âge de douze ans, je souffrais tous les mois à cause des règles extrêmement douloureuses, hémorragiques et qui accentuaient mes problèmes intestinaux causés probablement par une alimentation trop riche, mais aussi par mon caractère anxieux. Tous les mois, c’était une vraie épreuve. Une fois en première année de fac, une prof un peu barge m’a gueulé dessus car je ne souriais pas.

« Dans mon cours tu souris ou tu ne viens pas ! »

Certes je devais avoir une tête de condamnée à mort, mais j’avais horriblement mal malgré tous les cachets que j’avais pris. Je ne souriais donc pas, je faisais juste un énorme effort pour ne pas tomber dans les pommes, comme tous les mois entre mes douze et trente ans.

Endométriose diagnostiquée à la trentaine lors de mon protocole de procréation assistée. Après le premier accouchement, les choses s’arrangent, comme par magie, je ne souffre plus. J’ai encore des migraines pendant les règles et je me sens raplapla, mais tous les autres symptômes ont disparu.

Quel soulagement !

La grossesse a changé beaucoup de choses pour moi dans l’acceptation de mon corps. Enceinte j’ai mangé de tout, je me faisais plaisir. Inimaginable pour moi de suivre un régime à cette période de ma vie, j’écoutais mon organisme et je succombais aux envies. Comme elle a pu m’énerver cette gynécologue qui me suivais lors de ma seconde grossesse, à me reprocher à chaque visite les kilos de trop (selon elle) que je prenais. Je lui disais que je faisais de la rétention d’eau et que je perdrais tout en allaitant le petit, comme cela a été le cas pour le premier. Mais au fond de moi, je bouillonnais en supportant ses remarques. C’est quoi ce monde où d’abord tu te fais engueuler par ta propre mère car elle trouve que tu ne manges pas assez et ensuite par ta gynéco qui trouve que tu manges trop.

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« Mais qu’est-ce qu’il a le corps des femmes
Pour qu’on n’lui foute jamais la paix
Combien faut-il de cris de larmes
Pour qu’on lui rendre sa liberté »
Le corps des femmes », Mathilde & Friends)

La suite de « Mon meilleur ennemi » bientôt…