Il aurait dû être son héros

Il suffit de peu. Il suffit de pas grand-chose pour qu’un mariage se dissolve. Si vous lisez ce texte jusqu’au bout, vous seriez surpris(e) voire choqué(e), ou pas, par cette première phrase ou ce « pas grand-chose ».

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Un matin d’octobre, de ces jours où l’hiver ne pointe pas encore son nez et l’été s’en va sur la pointe des pieds. Ce matin mon fils de douze ans allait subir sa première prise de sang. J’imagine en tant que maman, qui plus est phobique de cet acte, mon fils devait éprouver une certaine anxiété…

[Témoignage]

Son papa, pour l’occasion, lui avait promis de se lever pour l’y accompagner. Peut-être cette proposition rarissime de sa part avait nourri, accru une certaine anxiété chez mon enfant. En effet d’habitude son père ne se lève pas tôt et ne prend pas d’initiatives pour s’occuper de ses enfants. L’adulte se lève donc ce matin. Mon fils est déjà debout et regarde la télévision. Ce qui ne convient pas à son père agacé de se lever plus tôt que d’habitude donc il s’en prend à son fils. Je revois sa mâchoire crispée et cet air méchant presque grimaçant.

Au lieu de t’abrutir devant la télé tu vas t’habiller !

De mon côté, j’estimais qu’en raison de l’imminence de l’acte, il n’était pas en retard pour autant, je le laissais tranquille. Je ne cautionnais pas la remarque de son père mais me tus. Je continue à me préparer. Mon plus jeune fils de onze ans se lève à son tour et se prépare comme à son habitude.

Quelques minutes après, mon fils aîné, qui devait se priver de petit déjeuner, et son père se recroisent. J’ignore la cause de la dispute, mais j’entends que le ton monte. Et rapidement. Ils finissent par se retrouver tous les deux dans la chambre de l’enfant. Jusqu’à ce que j’entende des pleurs qui m’alarment et des cris qui me font me précipiter dans la chambre où je vois mon fils au pied de sa mezzanine, son père d’un mètre quatre-vingt-douze en train de lui asséner un coup de pied dans le dos.

Chères lectrices, chers lecteurs. Cette histoire, je l’écris là alors que mon fils vient de souffler ses 16 bougies.

Dites-moi si je suis folle de penser que c’était le geste de trop. Dites-moi si je suis à défaut d’être une mère, en l’occurrence une femme, indigne pour avoir imaginé, à partir de la vision de cette scène, de me séparer du responsable légal de mon enfant ?

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À la vue de cette scène, mon sang s’est figé, glacé dans mes veines. Mon cœur a battu comme jamais, même en cas de tachycardie – lors de mes courses à pied effrénées – il ne bat pas aussi fort ni mal. Mon cerveau s’est mis en branle. Une machine de guerre. Je suis très calme apparemment, mais ma tête a démarré belliqueuse, paniquée et effondrée, je ne sais pas dans quel sens. Mais je suis en marche. Je dis à mon conjoint, mon mari, des mots très atténués par rapport à l’intensité du moment vécu. Peut-être les ai-je criés, mais pas aussi fort que le sentiment de terreur qui me ravageait de l’intérieur.

Je me hais d’être ainsi. Impassible de l’extérieur, mais ébranlée à l’intérieur.

Tellement facile de frapper un enfant, qui plus est à terre, du haut de son pouvoir et de ses deux mètres. Cette image de mon aîné se tenant les reins en hurlant accélère encore aujourd’hui, à chaque fois que j’y repense, les battements de mon cœur. Les pleurs secs de l’enfant, la douleur froissant son visage. Et son père furieux hurlant que notre fils fait du cinéma pour me faire réagir. Bien sûr il fait semblant. Je regarde son dos en soulevant son pull. Que m’attendais-je à voir à part sa peau un peu rouge ? Mais je ne verrai pas à l’œil nu les deux vertèbres déplacées.

Dignité.

Je me suis détournée de son père en lui disant que j’allais accompagner notre enfant au laboratoire. Pendant que ce qui sert de père à mes deux enfants accompagne le plus jeune à l’école. Aucun danger possible. Le benjamin est docile, sent quand le vent tourne et se fait oublier. Ce n’est pas le cas de son grand frère dont le caractère est incompatible avec la plupart des adultes. Différent, indocile et intelligent, il se heurte à toute autorité quelle qu’elle soit. Quand il a affaire à une personne autoritariste, cela finit toujours mal.

Dignité.

Je fais semblant de reprendre mes esprits pour faire croire à mon enfant que je passe à autre chose, mais mon esprit est obnubilé, accroché à cette chambre au tapis vert, éclairée par cette lumière trop crue. Je parle à mon enfant de la prise de sang, je lui achèterai des chouquettes car il pourra alors à ce moment manger. L’anxiété de la pise de sang s’efface dans mon esprit devant l’horreur de cette injuste scène à laquelle j’ai assisté impuissante.

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Là où j’aurais compati, je minimise cette première prise de sang qui n’est rien par rapport à ce geste qui n’est pourtant pas le premier en termes de violence. Il y a eu cette claque sur la joue au point de le faire tomber, alors qu’il venait de fêter ses trois ans ! La cause ? Il avait bousculé son frère par jalousie. La gifle paternelle a été violente, brusque et traumatisante. Je me rappelle les marques rouges qui ont strié trois jours durant sa joue.

Que s’est-il passé dans son cerveau en pleine croissance ? On ne voit rien mais comment grandit-on ainsi ? Et pourquoi cette claque ? Le redresseur de torts, responsable sur le papier, avait alors éprouvé un sentiment d’injustice pour son fils cadet. Et le coup de pied moins de dix ans après ? Où est l’injustice ?

« Il aurait dû être son héros
Le plus fort le plus gentil le plus beau
Il aurait dû être son guide
Celui qui tient la main quand on s’approche du vide
Un refuge, un exemple, un repère
Bref juste un père »
Juste un père », Riké)

Impossible de rester tranquille à ses côtés avec la joue meurtrie de notre fils encore bébé et faire comme si de rien n’était. Ce jour-là, je suis partie, voulant alors quitter la maison, le quitter lui. Les enfants avaient donc trois et deux ans. J’ai marché dans la soirée ne sachant où aller. M’en voulant, lui en voulant. Merde, j’étais mal tombée. Tant de violence. Et que se passerait-il à l’adolescence ? Comment vivre avec cet homme tellement drôle et généreux auprès de sa famille et de ses amis adultes, et aussi colérique avec ses fils, surtout l’aîné ? Révélé comme tel à la naissance de notre premier enfant.

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Et les témoins de ces deux scènes ? Moi et le plus jeune des garçons. Donc le responsable, c’est cet enfant. La soirée de la claque s’est terminée par plusieurs appels de mon fils, celui qui a reçu la claque, et son père. J’ai entendu la voix de ce petit garçon m’implorant de rentrer sur l’instigation de son père. Mais convaincu que ce n’était rien. D’ailleurs ce fameux coup de pied, mon fils me demande encore de minimiser la violence de cette scène. Là est le problème. Comment banaliser de tels gestes intolérables ? Il en est convaincu aujourd’hui. Je culpabilise pour son avenir. Il sera grand comme son père. Aurais-je le courage de le regarder droit dans les yeux ?

Trouver normal l’anormal, l’intolérable. Et minimiser, dédramatiser. Dignité.

Le soir du coup de pied, je me suis retrouvée seule avec mon aîné. Les deux seuls meurtris par l’événement matinal qui m’aura hantée toute la journée et le week-end.

Mon plus jeune fils a accompagné son père chez des amis. Une soirée classique entre amis pour fêter le week-end. Pas le cœur à la fête. Je reparle de cet épisode à mon enfant. Je lui dis que je reste avec son père pour eux. Que je resterai jusqu’à la fin de leurs études. Mon fils m’en reparlera culpabilisant d’être à l’origine de cette présence forcée auprès de son père. Toujours traumatisée le lendemain matin, je décide de courir comme à mon habitude chaque matin du week-end.

J’appelle « SOS Enfants traumatisés ».

Alors que le soleil brille dans ce ciel d’été indien au parc de Sceaux. J’ai la chance d’échanger au téléphone avec une femme anonyme qui ne juge pas le geste que je lui raconte. Mais qui me parle d’avenir et me propose une thérapie familiale « pour ne pas stigmatiser » l’enfant provoquant si souvent la colère de son père. Après quelques kilomètres, après que l’adrénaline a pansé le traumatisme qui a meurtri mon cœur et mon corps, je me sens plus forte car en plus la nuit a été agitée. Je n’ai pas adressé la parole à mon mari depuis la scène de la veille. De part et d’autre du lit, lui contre la fenêtre avec le ciel qui étincelle derrière, je lui propose la thérapie, comme si l’idée venait de moi. La réponse fuse négative…

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« Elle, elle n’a jamais su que faire
Doit-elle parler doit-elle se taire
Doit-elle tenter de pardonner les offenses
Ou lui faire payer le vol de l’innocence »
Juste un père », Riké)

Maman de deux enfants, un boulot, un appartement. J’ai intérêt à être heureuse et ne pas me poser de questions. Et pourtant la voie que j’ai choisie m’indique que j’ai fait une énorme erreur. Quitter ou ne pas quitter ?

 

La suite « Une douche à l’italienne »

 

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Une réflexion sur “Il aurait dû être son héros

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