« Excuse-moi un moment
Alors que j’ai les yeux écarquillés
Et je suis prise au piège entre deux feux »
(« Strong », London Grammar)

Seize ans ensemble. Dix ans de mariage. Ça y est, nous l’avons fêté comme il se doit. Même si c’était loin d’être gagné. Cela a été plutôt fastidieux, comme pour tous les couples mariés d’ailleurs. Lorsque j’entends des couples mariés/ensemble de longue date dire « Nous ça va très bien, c’est aussi bien qu’au début… » je reste incrédule. Et je sais pertinemment que les apparences sont (très souvent/dans la plupart des cas) trompeuses…
Je le lui ai donc annoncé il y a quelque temps.
Une grosse crise de couple ? Bien plus.
Le résultat de plusieurs années à ne faire que bosser, nous occuper des enfants et faire plaisir aux familles d’origine respectives, sans recevoir aucune aide de leur part. Ni quand nos enfants encore bébés enchaînaient des maladies, ni lorsque nous ne dormions que trois ou quatre heures par nuit pendant de longues périodes. Ni lorsque cela se passait très mal à mon boulot.
Non, pas d’aide. Aucune présence bienveillante, aucun soutien psychologique.
Ok, un virement de temps en temps, pour payer en partie la baby-sitter assurant les sorties d’école (puisque la grand-mère n’est jamais disponible, elle garde ses deux autres petits-enfants). Ou un chèque à Noël (la seule date où le grand-père a retenu pour faire un cadeau à ses deux petits-fils, car même celles de leurs anniversaires, il ne s’en souvient pas). Ou encore une carte ou petit cadeau par ci par là des grands-parents maternels (=mes parents), mais c’est une autre histoire puisqu’ils ne seront même pas au courant de « notre » crise, ou plutôt de mon « pétage des plombs »… Ils habitent suffisamment loin.
Pour revenir aux grands-parents paternels (mes beaux-parents, eux-mêmes divorcés depuis un bon moment), je n’appelle pas cela de l’aide puisque nous gagnions suffisamment tous les deux et n’avions vraiment pas besoin de cet argent. Plutôt un dédommagement de ne pas s’occuper de leurs petits-enfants, pour pouvoir dire qu’ils nous aidaient… Un dédouanement ?
Le fric.

Je lui ai donc annoncé que je partais. Il est passé par tous les états. Je l‘ai soutenu. Je me le devais. Je me sentais responsable de lui. Il n’a pas d’amis. A part quelques collègues à qui il ne m’a jamais présentée. Il ne mélange pas le perso et le pro. C’est moi qui ai pris rendez-vous pour lui avec une psychologue pour qu’il vide son sac, sinon il n’allait pas le faire. J’ai appelé sa famille à la rescousse, pour qu’ils s’occupent de lui, sinon ils ne se bougeaient pas. Une famille où les choses ne se disent pas. Où tous les problèmes restent tabous à part le sujet de l’argent. On se sourit « oui je vais très bien merci », personne ne s’intéresse vraiment à toi, jusqu’au jour ou ça part en vrille, jusqu’au jour où c’est trop tard : divorces, dépressions, burn-out et j’en passe. Mais juste avant « tout allait parfaitement bien. »
Tout le monde est gentil, mais personne n’est vrai.
Sa mère l‘a donc « soutenu » en lui conseillant sur le partage des biens, sur le rachat de l’appart. Cela l’a abattu encore plus. C’est à moi de quitter notre appartement car c’est moi qui ai pris la décision de nous séparer. Elle m’appelle pour me dire comment chercher mon nouveau logement. Deux ou trois jours après l’annonce. Elle veut « m’aider », encore, à sa manière… (comme avec les virements de Noël) Et que je pourrai rendre visite aux enfants quand je voudrai ! Lui reprend ses paroles à elle, me les répète… De quoi pouvoir ensuite dire que j’ai abandonné les enfants. Un vrai « f…… de g…. » (pour ne pas abuser d’injures dans un seul texte).
Le pognon.
C’est moi qui pars, donc c’est à moi la « faute », la « responsabilité ». Et c’est aussi moi qui gère le désespoir de celui que je ne supporte plus. Une fois de plus, il n’y a que son mal-être qui compte. Mon mal-être n’existe pas. Puisque c’est moi qui voulais partir. Donc il est de mon devoir d’aller bien.
Sans blague !
Il a écrit une lettre qui m’était destinée. Mais elle ne s’adressait pas vraiment à moi. Il ne parlait que de lui. De la morosité dans laquelle il était plongé depuis quelques temps, depuis que j’ai quitté le lit conjugal sous prétexte qu’il ronflait. Mais surtout à cause des enfants qui avaient pris l’habitude de faire le co-dodo avec nous (le co-dodo dû en partie à son manque d’autorité paternelle vis-à-vis d’eux et notamment vis-à-vis de notre aîné). Sa morosité dimanche soir, et tous les soirs aussi, quand je me refusais à lui.

Toutes les difficultés que j’ai traversées, ma crise de la quarantaine, le harcèlement que j’ai subi au boulot, le sexisme dont j’ai été victime, le burn-out maternel face à notre fils précoce au tempérament volcanique, mon mal du pays… pas un seul mot à ce sujet dans sa lettre. En fait, il n’était pas au courant. Il avait tout occulté. Abstraction totale de mon état qui m’a amené à cette décision extrêmement difficile. Trop accaparé par son travail et par les comptes hebdomadaires du budget familial.
C’est de famille, sa mère est expert-comptable…
Une fois sortie de sa montagne russe, il revient à son fonctionnement normal : calculer, compter, épargner… Tout se calcule. On peut faire des économies avec la santé psychique et physique des enfants et la nôtre aussi. Quand j’allais mal, il ne m’a jamais proposé de faire une seule séance chez un psy (c’est onéreux). Combien de fois je lui ai parlé d’un coaching éventuel dont j’aurais voulu bénéficier (quand cela se passait mal au travail). Jamais « vais y, franchement, fais-le, t’en as besoin et cela te fera du bien… » Combien de fois m’a-t-il proposé d’aller rendre visite à mes parents dans mon pays natal, pas tous ensemble, mais juste moi, sans lui, sans les enfants, pour me ressourcer un peu. Combien de fois m’a-t-il acheté un billet d’avion ? Devinez ?
A quoi bon gagner tout cet argent, si c’est juste pour mourir riche ou, en attendant de mourir, vivre riche, mais malheureux ?
La sécurité matérielle ne constitue que le 2e niveau de la pyramide des besoins selon Maslow, je ne saurais me satisfaire de si peu. Mais pour lui, monsieur l’ingénieur, tout est mathématique et s’explique forcément de manière arithmétique (ou algorithmique, je n’y ai toujours rien compris…) Mais moi je suis une humaniste, une littéraire. Et l’humain n’est pas mathématique. Il est tout sauf mathématique. Je veux faire de mon mieux, de notre mieux pour les enfants, lui ne pense qu’à travers l’argent. Cela crée des tensions inutiles pour les enfants et pour nous aussi. Je suis incapable de continuer à prendre sur moi, incapable de ne plus réagir. J’ai supporté pendant toutes ces années, j’ai pris sur moi en m’adaptant à son fonctionnement minimaliste, calculateur, à son style de vie routinier à l’extrême, à mourir d’ennui… Telle la Rose du Petit Prince.
Il n’a rien compris à l’amour.

Je vivais sous son contrôle « financier », qui dépiautait mon compte bancaire, et à supporter les reproches d’avoir acheté trop de vêtements pour moi et les enfants. Le seul plaisir que j’avais depuis quelque temps. Lui se contente de peu, il n’a besoin de rien ni de personne. Moi, je suis absolue. Pour moi l’argent sert à se faire plaisir et à faire plaisir aux autres. Pour lui il sert à payer les factures et à mettre de côté pour au cas où… (les extraterrestres débarquent dans notre ville et il décide d’embarquer avec eux pour un tour en soucoupe volante ?)
Je pars donc et je ne veux pas son fric.
Je veux juste la simplicité. Je lui tends la main pour faire les choses de manière simple pour perturber les enfants le moins possible : prise en charge psychologique des enfants, location d’un petit appartement où chacun de nous irait une semaine sur deux le temps des procédures et pour que les enfants puissent rester dans leur maison sans devoir bouger, sans devoir faire la navette toutes les semaines… Surtout le petit qui n’aime pas le changement, tout comme son père. Ce dernier a tellement peur du changement que, sous l’influence de sa mère, refuse ma proposition… Aucun écart possible de sa part par rapport à son fonctionnement normal. C’est moi qui dois donc partir et je pourrai rendre visite aux enfants quand je voudrai (puisque je ne veux pas que les enfants soient obligés de faire la navette).
« Grand foutage de gueule ! » (il fallait que ça sorte).
Et pourtant il n’arrête pas de répéter qu’il souhaite qu’on reste amis… Certes, on dit que « les bons comptes font les bons amis », mais là cela n’a pas du tout l’air aussi simple que dans le proverbe. Il m’a même proposé de rester avec lui et d’aller voir qui je veux… Un couple libre. Je n’ai pas accepté. Il me prend pour qui ? Il se goure sur toute la ligne. Incompréhension avant. Incompréhension maintenant. Et cet élan de liberté de plus en plus fort qui me pousse à vouloir partir. Indomptable. Exactement comme il y a un peu plus de seize ans lorsque j’ai quitté mon fiancé marocain…
« Et un lion, un lion, rugit, n’écouteras-tu pas ?
Si un enfant, un enfant pleure n’aimerais-tu pas leur pardonner ? »
(« Strong », London Grammar)

J’assume ma décision, j’en parle autour de moi, même si je me sens (encore) mauvaise face à lui, face au monde, comme toutes les femmes qui décident de partir. Pourquoi les femmes doivent toujours être esclaves de leurs obligations conjugales et familiales ? Pourquoi doivent-elles toujours consacrer leurs rêves, leurs envies, leurs besoins pour que les hommes peuvent se réaliser professionnellement ? Dans la plupart des cas, c’est la femme qui se met en situation de précarité une fois les enfants venus au monde : travail à temps partiel, congé maternité prolongé, salaire plus bas (à compétences égales et engagement bien plus élevé…) Pire, elles acceptent des contrats de mariage qui ne leur attribuent rien ou peu, si jamais elles étaient amenées à divorcer. Le harcèlement financier dans un couple, c’est extrêmement fréquent. Les féministes se sont battues pour que nous puissions travailler. Mais au XXIe siècle nous sommes toujours maltraitées, à la maison et au travail. Nous sommes sous-payées, et portant c’est de nous qu’on exige d’être bien fringuées, maquillées, coiffées, épilées… Impeccables. Qui croit que c’est gratuit tout ça ?
Le flouze.
Et malgré toutes les déceptions qui s’accumulent, nous faisons de notre mieux. De notre mieux pour ne pas tomber amoureuse de quelqu’un qui s’intéresserait vraiment à nous. Pour ne pas nous attacher à quelqu’un d’autre que celui avec qui nous vivons depuis tout ce temps et avec qui nous avons des enfants. Mais un jour nous découvrons que nous avons été trahies, d’une manière ou d’une autre. Trompée avec une autre ou abandonnée pour leur carrière professionnelle ou laissée esseulée dans notre solitude ou notre burn-out. N’importe. Un jour nous comprenons que nous n’avons jamais été leur priorité ni leur essence. Et nous décidons de partir et c’est de notre faute.
Quel est le prix des dix ans de mariage ?
Et comment rester amis dans ces conditions ?

« Ouais, je pourrais sembler tellement forte
Ouais, je pourrais parler tellement longtemps
Je ne me suis jamais autant trompée »
(« Strong », London Grammar)
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