Dolce farniente

“Le treizième travail d’Hercule : trouver un emploi.” (Roland Topor)

Ça y est, mes deux années de chômage s’achèvent bientôt. Toutes ces grasses matinées. Les séries policières à gogo. Les vacances à volonté sans me préoccuper de quoi que ce soit. Puisque je ne travaille pas et en plus on me paie pour ça…

Novembre 2017

Je suis au chômage depuis début août. J’ai eu deux mois pour présenter mon projet de formation au Pôle-Emploi, avoir leur validation et compléter mon dossier auprès de l’école pour une inscription définitive. Mon cadet a fait sa rentrée en maternelle, un moment plutôt stressant pour lui et moi. Je commence mon MBA en sessions de week-end. Je ne me suis pas encore complétement remise de mon burn-out, je manque d’énergie physique. Moralement ça va un peu mieux, mais aucunement envie de prendre le métro blindé de monde pour me rendre à Paris, cela me replonge dans les mauvais souvenirs. Je commande un taxi qui m’emmènera directement à l’école. Le taxi ça coûte cher ? Oui. Mais la formation que j’ai payée avec les économies faites durant les quelques années de travail coûte encore plus cher. Et le choix est vite fait entre prendre un taxi ou sécher les cours. Je serre les dents. Je sais qu’une fois sur place, je serai dans mon élément : écouter, noter, poser des questions, échanger, apprendre. L’énergie cérébrale, j’en ai à revendre.

Et c’est ce qui me fait marcher, surtout en périodes difficiles. C’est ce qui me fait rebondir. C’est ma zone de résilience.

Décembre 2017

Je ne pourrai pas aller à la fête de fin d’année à l’école de mon fils cadet qui est en petite section. Malgré un grand pincement au cœur, inenvisageable pour moi de sécher les cours. Les feuilles d’émargement sont envoyées par l’école au Pôle-Emploi, et de toute façon je ne veux rien louper de ce qui sera dit. Ce sera mon mari qui participera à la fête, j’expliquerai plusieurs fois au petit pourquoi je ne peux pas être là, que moi aussi j’ai mon école à moi. Au fil du temps cela deviendra tout naturel pour lui et son grand frère. Les autres jours ils sont bien contents lorsque c’est moi qui les récupère à l’école le soir ou lorsque j’accompagne le grand et sa classe au gymnase de temps en temps. Lorsque pendant les grèves de l’école ou de la cantine je suis présente pour eux, ou quand ils sont malades…

Je passerai énormément de temps sur le premier projet à rendre tout début janvier, un projet d’équipe, je veux donner le meilleur de moi-même, j’y passerai des heures et des heures… Lecture, recherche d’informations, échanges avec les coéquipiers (parfois très tard le soir, souvent le week-end), réalisation du dossier écrit, mise en forme sur le power point, recherche de visuels… Les délais sont serrés, et d’autres projets tombent entre temps. Les profs ne se coordonnent pas entre eux, c’est à nous de nous adapter à leurs impératifs. C’est laborieux, c’est fastidieux, mais ça me porte. Je commence à oublier mes problèmes passés.

Je puise dans mes ressources profondes, ma curiosité et ma persévérance. Mon énergie vitale revient peu à peu.

Janvier 2018

J’attends le bus qui m’emmène à la station de métro. La présentation orale du premier projet a lieu demain, nous devons le boucler ce soir. Je descends dans la station de métro et je me sens bizarrement légère. Je baisse mon regard. Je regarde mes mains. Où est mon ordinateur ? Sur le coup je ne comprends pas ce qui se passe. J’étais tellement plongée dans mes pensées. Je remonte l’escalier, je me dirige vers le guichet de la RATP. J’explique. Rien à faire, ils ne peuvent pas appeler le chauffeur du bus. Je décide d’aller aux cours sans aucun espoir de retrouver mon ordinateur, même si un dossier papier avec mon nom se trouve dans le sac de l’ordinateur. Heureusement que je n’ai perdu que les cours de deux mois et non de toute une année et que j’ai recopié tous les supports de ce premier projet sur l’ordinateur fixe. J’ai un goût très amer car ce bel hybride était un cadeau de la part de mon mari pour mon anniversaire. Mais c’est aussi une bonne leçon de vie, de ce qui compte vraiment pour moi. J’ai perdu mon ordinateur, mais je commence à me retrouver…

Je fais un gros travail de relativisation. « Ce n’est pas un enfant que j’ai perdu, juste un ordinateur, tout va bien. »

Février 2018

Vendredi 20h. Un sms. Une copine me propose un déjeuner samedi sur Paris. J’essaie de me concentrer sur ce que dit le prof malgré l’heure tardive. Je serai rentrée après 22heures et demain les cours reprennent à 9 heures. Je lui réponds que j’ai les cours toute la journée de samedi. « Le soir alors !? » « Non désolée, deux jours de cours intensifs c’est vraiment fatiguant et les projets s’enchaînent ». Le temps libre, je préfère le consacrer aux enfants ou juste à me prélasser en lisant un livre, en prenant un bain ou en écoutant de la musique. Au calme. Je ne suis pas une sauvage, mais je ne suis pas une hyperactive des sorties non plus. Elle oubliera souvent que j’ai repris les études et me proposera régulièrement des sorties les jours où j’ai mes cours.

Je ne suis probablement pas assez explicite dans mes messages… Pas assez assertive.

Mars 2018

La femme de ménage n’arrête pas de me parler. Ah oui, vous allez me dire « Elle est au chômage et elle a une femme de ménage. » D’accord. En effet, elle venait chez nous déjà quand je travaillais à temps plein et assurait les sorties d’école de notre fils aîné, en plus de quelques heures de ménage. Lorsque j’ai arrêté de travailler, mon mari et moi avons fait un énorme effort financier pour pouvoir la garder, d’abord pour elle, ensuite pour nos enfants qui s’étaient attachés à elle. Et sa présence était indispensable lorsque j’allais aux cours… Elle me parle. Je suis en train de tester une application mobile pour un projet. Mais je n’arrive pas à me concentrer car elle a une fâcheuse habitude de me parler tout en faisant le ménage. Je lui ai déjà expliqué que je ne pouvais pas être attentive à tout ce qu’elle me racontait, mais me voyant sur mon téléphone mobile elle doit croire que je m’amuse ou que je m’ennuie, toute seule entre les quatre murs…

Je lui réexplique calmement. Je mets les écouteurs. Elle se tait et a l’air de faire la tête. Je suis mal à l’aise… La semaine d’après elle me parlera à nouveau, et tous les autres jours où nous serons à la maison en même temps. Si encore elle m’épargnait la longue liste des catastrophes arrivées cette semaine dans le monde. Je ne regarde pas les infos car je suis de nature anxieuse, mais elle tient absolument à ce que je sois au courant. Le temps que je consacre à l’écouter, le temps que je lui paierai (pour le ménage qu’elle est censée faire), c’est le temps que je passerai le soir à travailler pour mes études et les cernes et la migraine que j’aurai le lendemain.

Je ne m’affirme certainement pas assez donc elle profite de ma gentillesse…

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