« Aimer, c’est réussir à donner à l’autre confiance en lui. » (Martin Gray)

Encore ce même cauchemar qui revient régulièrement : je conduis une voiture dans un bouchon et j’en ai marre de ne pas pouvoir avancer. Sans parler de cette sensation de ne pas avoir vraiment le contrôle sur ma vie… J’abandonne le véhicule pour continuer à pied. Ouf.
« Maman s’il te plaît, est-ce que tu peux apprendre à conduire une voiture ? »
Cet été nous avons passé quinze jours en compagnie de mon cousin, de sa femme et de leur trois enfants. Mon fils cadet a été impressionné de voir sa tante conduire leur crossover.
Quand j’avais entre 16 et 18 ans, mon père voulait à tout prix que je passe mon permis. Et plus il insistait, moins j’en avais envie. Mon besoin de liberté et de faire les choses selon mes propres envies était déjà bien forte. J’ai donc résisté, attitude digne d’une vraie ado, et refusé de m’inscrire dans une école de conduite.
Je repense parfois à mon enfance et à mon père qui voulait à tout prix que j’apprenne à nager, à faire du vélo, à jouer aux échecs. Il m’emmenait à la piscine une fois par semaine, je devais avoir quatre ans. Il n’était pas forcément bon pédagogue. Aujourd’hui je ne me noie pas, je sais nager à peu près convenablement. Mais je n’aime pas mettre la tête sous l’eau et je panique lorsque la profondeur m’empêche de sentir le fond de la piscine ou de la mer.
Avec sa méthode approximative, plutôt centrée sur la pression que sur le plaisir, mon père ne m’a pas transmis le plaisir de vouloir continuer et travailler ma confiance dans l’eau ni la technique. Même chose pour le vélo, plus il s’obstinait, moins je réussissais. Son stress était contagieux. Finalement, j’ai appris à en faire avec ma sœur et une copine dans un climat de rigolade et de jeu. De manière ludique donc. Ceci dit, aujourd’hui je ne suis absolument pas prête à faire du vélo sur la route, je ne suis pas complètement à l’aise surtout pour freiner. Toujours le même problème de confiance en mes capacités à maîtriser le véhicule.

En revanche je ne sais pas par quel miracle, mon père a réussi à me transmettre le plaisir de jouer aux échecs. Depuis l’âge de cinq ans et jusqu’à ma majorité j’adorais faire ça. Je me rappelle que sa méthode pour mes premiers pas avec les échecs était plutôt dans le ludique et le renforcement positif. Il a donc trouvé le bon moyen pour me motiver et surtout pour m’aider à développer mon talent pour ce jeu…
Lorsque mon fils aîné avait un peu plus de ciq ans, il s’est mis à lire spontanément de manière fluide. Différentes personnes me demandaient comment j’avais fait pour lui apprendre à lire. Certains prétendaient que nous le sur-stimulions pour qu’il a prenne à lire tôt. Mais ma réponse était : rien, nous n’avons rien fait. Si ce n’est que lui lire des histoires le soir depuis qu’il était bébé car il adorait cela. Si ce n’est que lire nous-mêmes beaucoup de livres. Les enfants sont des imitateurs extraordinaires ! Ils ne font pas ce que nous leur disons de faire. Ils ne font pas ce que nous exigeons qu’ils fassent. Ils font ce qu’ils voient leur entourage faire.
Alors à certains parents qui se plaignent que leurs enfants ont du mal à maîtriser la lecture, je pose cette question :
Combien d’histoires leur avez-vous lues lorsqu’ils étaient bébés, entre 0 et 3 ans ? Et combien de livres avez-vous lus vous-mêmes depuis qu’ils sont nés ?

Les deux grands-mères de mon mari, ainsi que sa maman et ses tantes ont toujours conduit. En France c’est tellement naturel qu’une femme ait le permis de conduire. Alors que ni mes grands-mères, ni ma mère, ni aucune de mes tantes n’avaient le permis. Ce n’est qu’une partie de femmes de ma génération qui conduisent dans mon pays. Donc je n’avais aucun exemple féminin à suivre dans ce domaine. Et le modèle masculin, incarné par mon père, avec ses méthodes basées sur « il faut » et non sur « si tu as envie » ont eu l’effet inverse de son souhait…
Mes enfants ont appris tous les deux à faire du vélo à deux roues à l’âge de quatre ans et demi. Seuls. Aucune pression. Aucune exigence. Tiens, c’est ton vélo, nous enlèverons les petites roulettes quand tu en auras envie, et tu en feras ce que tu voudras. Je n’ai rien fait. Mon mari non plus. Ils ont appris à faire du vélo selon leur élan vital du moment, lorsqu’ils étaient prêts. Tout naturellement. Et ils adorent faire ça. Ainsi que la trottinette et autres planches à roulettes.
Même chose pour la natation. Le grand a refusé de prendre des cours de natation à cinq ans. J’ai accepté son refus. Il a demandé d’en faire à six ans. Un an plus tard il nage comme un poisson. Le petit, à son tour, a demandé à faire comme son grand frère, pouvoir prendre des cours de natation. Cours collectifs où chaque enfant est autonome dans ses mouvements et ses progrès, où l’apprentissage se fait de manière ludique. Il y va avec un grand plaisir, aucune crainte de ne pas réussir. Le seul enjeu pour le prof est de faire aimer aux enfants l’eau et qu’ils prennent plaisir à travers les jeux qu’il propose. Et ils apprennent à nager sans s’en rendre compte.
Tout naturellement et dans le plaisir !
Aujourd’hui le petit à l’âge où son grand frère a commencé à lire. Et cela n’a aucune importance que lui-même ne le fait pas encore. Je sais que le bon moment viendra où il saura lire, tout comme pour apprendre à marcher ou à parler. Il n’a aucune phobie de la lecture car tout le monde adore lire autour de lui, donc l’envie sera là et le plaisir de lire aussi. Lui mettre la pression en le comparant à son grand frère ne ferait que créer chez lui de l’inhibition contre-productive ou, pire, faire naître une phobie. Comme mon père a fait avec moi pour le permis de conduire, en me mettant la pression au lieu d’attendre que je sois prête tout simplement à cette idée. Que je la trouve toute seule cette idée. Que je la mette en œuvre cette idée. Car à la base j’avais tout pour réussir.

Dans certains pays et certains types d’écoles, les enfants ne sont pas obligés à apprendre à lire entre six et sept ans. Ils l’apprennent à leur rythme, de manière ludique. Les pédagogies différenciées mettent l’accent sur l’importance du plaisir et de l’imitation dans les apprentissages. Si vous obligez vos enfants à lire, mais que vous ne lisez jamais et que cela ne vous procure aucun plaisir de lire, vous courez le risque de créer chez votre enfant de la frustration, des blocages et peurs.
« Arrête de dessiner ! Va lire ! » Combien de merveilleux destins détournés à cause de l’exigence de devoir rentrer dans le moule à tout prix ?
Si mon père ne savait pas éveiller ma motivation pour les activités sportives (peur de tomber du vélo, peur de couler dans la piscine), il ne m’a jamais mis la pression sur ma scolarité. Manque de temps ? Conviction ? Je ne sais pas. En tout cas j’évoluais à mon rythme, de manière autonome et apprendre me faisait plaisir. Il aurait dû avoir la même attitude pour le permis.
Lors de réunions familiales, la belle-mère de mon mari, qui adore conduire, n’arrêtait pas de me répéter comme un perroquet « il faut avoir le permis, il faut avoir le permis. » Elle n’a jamais posé la question de savoir pourquoi je ne l’avais pas. Complètement fermée dans son jugement et hermétique à mes tentatives de dialogue. Comme si moi, qui prends énormément de plaisir à apprendre et à étudier, je répétais en boucle « il faut étudier, il faut étudier. » Elle aurait pu me dire « Mets-toi au saut d’obstacles », cela aurait exactement le même effet sur moi.
Contrairement à elle qui ne voulait pas connaître ma réalité et tournait en boucle sur son idée figée, je sais que tout le monde n’est pas fait pour les grandes études. Tout autant tout le monde n’est pas fait pour être champion de natation, pour performer en VTT ou encore pour rester assis cinq heures autour d’une partie d’échecs. À chacun ses talents naturels, sa part de plaisir à faire quelque chose ou non et le droit à avoir certaines limites. On ne peut pas réussir dans tous les domaines et surtout pas dans ceux où le plaisir est absent.

Donc la question pour moi n’est pas de savoir « Conduire ou par conduire ? »
La question est de savoir comment faire pour apprendre à conduire avec plaisir et dans le plaisir. Ensuite de mettre en place un plan d’actions en fonction des réponses qui sont en moi. Non en fonction du jugement et de l’exigence qui sortent de la bouche d’autrui.
Sauf lorsqu’il s’agit de la bouche de mon adorable petit garçon. Je sens que je ne suis pas loin de passer le cap pour ses magnifiques yeux bleus qui me regardent avec confiance et cette adorable petite voix qui me demande pourquoi je ne conduis pas de voiture. Il a toute la confiance en mes capacités d’y arriver.
« Avec plaisir mon chéri ».