« Et il n’y a aucun sacrifice
Juste un simple mot
Ce sont deux cœurs qui vivent
Dans deux mondes séparés »
(« Sacrifice », Elton John)
Nous attendons notre deuxième petit garçon. Une opportunité s’est présentée, avant cette nouvelle grossesse, d’investir dans un appartement neuf dans la ville où nous étions déjà propriétaires depuis quelques années. Un appartement neuf acheté sur plan…
La construction durera deux ans et la livraison aura lieu un an après la naissance prévue de notre cadet. Nous suivons le chantier de près. Nous modifions les plans pour adapter l’appartement à nos besoins : j’ai envie d’avoir deux salles de bain, nous remplaçons donc un grand placard et un bout d’entrée par une seconde salle de bain avec douche et toilettes.
Chouette ! Pratique lorsque les garçons grandiront pour ne pas nous bousculer tous les quatre le matin.
Après l’accouchement, la période est difficile. Mon mari passe tout son temps à faire de la paperasse en vue de cette acquisition afin de s’assurer que nous tiendrons le coup financièrement avec le nouveau crédit qui sera beaucoup plus élevé que le précédent. Cela le stresse beaucoup. Il est extrêmement tendu. J’ai l’impression qu’il fait cet investissement à contre-cœur. Il fait la gueule. Il ne s’occupe plus de notre grand aussi bien qu’il le faisait avant. Et moi j’ai un nouveau-né dans mes bras que j’allaite et qui dort avec moi…
Le bébé est arrivé à la mi-juillet. Ce deuxième accouchement a été beaucoup moins simple que le premier. La péridurale pas assez forte. Mon mari désagréable avec moi pendant l’accouchement. Distant et agressif par moments.
Je n’arrive pas à y croire ! La fatigue ?
Lorsque la péridurale devient trop faible, je dois insister plusieurs fois pour qu’il aille chercher l’anesthésiste afin que celui-ci augmente la dose. Lorsque je n’arrive pas à bien pousser, il me dit sèchement de faire mon boulot correctement… Notre deuxième petit garçon naît. Calme et câlin. Je sens immédiatement qu’il n’a pas le tempérament fort et exubérant de son grand frère.
Enthousiaste, je dis à mon mari : « Regarde comme il est différent de son grand frère ! » – « Ah bon ? » comme seule réponse.
Le placenta n’est pas sorti naturellement au bout de trente minutes, le médecin doit forcer les choses pour l’enlever. Avec la main ! La péridurale n’agit plus du tout et c’est extrêmement douloureux. Ensuite, une fois le bébé examiné, je lui fais du peau-à-peau pour le réchauffer car sa température corporelle est trop basse. Le soir-même, mon mari fera une petite fête à la maison avec sa maman et son frère, tandis que moi je resterai à la clinique seule avec le bébé.
J’ai l’impression que j’ai tout oublié depuis la naissance de notre ainé. Je ne sais plus comment changer la couche d’un nouveau-né (et pourtant l’aîné porte encore des couches car il n’a que deux ans et demi), et la mise au sein est beaucoup plus compliquée qu’avec notre premier. Le bébé me semble extrêmement fragile. Je n’avais pas cette sensation avec le grand lorsqu’il est né. Le bébé a le reflux la nuit. Mon sommeil sera quasiment inexistant pendant plusieurs semaines.
Je me sens seule, triste, abandonnée…
Mais tellement heureuse d’avoir avec moi ce petit être tellement doux et innocent. Et je me dis aussi que pour le grand c’est mieux de faire la fête à la maison, au lieu de s’ennuyer à l’hôpital. Et ce n’est pas grave non plus, si pendant les deux premières semaines d’allaitement, je vais hurler à chaque fois que le bébé s’accroche au sein.
Mes seins sont extrêmement douloureux. Durs comme des pierres et inhabituellement sensibles. Pour le premier, ce n’était pas comme ça. Je serre les dents et je me dis que ce n’est qu’une question de temps. Au bout de deux semaines, ça ira beaucoup mieux et je l’allaiterai pendant vingt mois. Pour couronner le tout, mes crises hémorroïdaires, causées par la grossesse et l’accouchement me font terriblement souffrir. Je ne peux pas me bourrer d’antiinflammatoires à cause de l’allaitement…
Mais sinon tout va bien, la vie est belle.
Je resterai à la maison pendant un an après avoir convaincu mon mari que nous tiendrons le coup financièrement. Ça l’angoisse… Il faut vendre l’ancien appartement au plus vite. Je m’y colle. Avec le bébé dans les bras et le grand à qui je dois apprendre la propreté rapidement, il a obtenu une place en toute petite section. De plus, il est excessivement jaloux de son petit frère et devient un vrai petit démon à cette période-là…
L’appartement doit être propre pour les visites. Et il y en a des visites. Parfois à l’improviste, l’agence m’appelle dix minutes avant. En décembre je n’en peux plus de faire le ménage et de supporter les grosses bêtises du grand, comme verser un verre de jus d’orange par terre juste après que j’ai passé la serpillère, ou faire mal à son petit frère. De plus, un chantier de ravalement a commencé sur notre immeuble. Du bruit et de la poussière pendant de longs mois.
A nouveau je me sens seule. Seule et fatiguée.
Mais comme toujours, j’arrive à voir les côtés positifs de la situation. Je suis heureuse de voir mes deux garçons, tellement différents l’un de l’autre, bien grandir. Et euphorique à l’idée d’emménager bientôt dans ce nouvel appartement tout confort à proximité du métro et dans un quartier beaucoup plus calme et verdoyant que l’actuel. Je fais souvent des balades avec les enfants pour regarder le chantier avancer.
Nous arrivons enfin à vendre l’appartement au bout de six mois en le bradant un peu. Le marché de l’ancien est compliqué à cette époque dans notre ville de proche banlieue parisienne. Les gens préfèrent acheter du neuf quitte à acheter plus petit. Et moi, j’en ai vraiment ma claque de devoir faire le ménage tous les jours, avec deux petits bouts, c’est très usant. Mon mari ne veut pas prendre de femme de ménage, pour des raisons financières malgré son salaire plus que confortable, et je n’ai personne à proximité pour m’aider.
Nous allons déménager en juillet. La construction aura duré deux ans. En juillet, pour le déménagement, les enfants auront trois ans et demi pour le grand et un an pour le petit. Inenvisageable pour moi de déménager avec les enfants entre les pattes. Je décide de partir dans mon pays d’origine, avec les enfants, tout le mois de juillet pour laisser quartier libre à mon mari qui fera les cartons et s’occupera du déménagement.
Sans nous, il sera plus efficace.
Je me retrouve toute seule à gérer les enfants. Ma maman ne va pas du tout bien depuis la disparition de ma grand-mère. Elle a encore pris du poids. Ses problèmes de santé s’enchaînent. Ce sera un juillet caniculaire, entre trente-cinq et quarante degrés. Elle le supporte extrêmement mal. Normal avec son obésité. Mon père travaille encore. Je le vois peu.
Malgré l’ambiance pesante, j’essaie de profiter au maximum avec les enfants. Balades, sorties, rencontres… Parfois je laisse le bébé avec ma maman, lorsqu’il fait la sieste, pour emmener le grand à la piscine ou pour profiter de la fraîcheur d’un musée. Elle peut garder le bébé quand il dort pendant trois heures d’affilée. Mais je ne m’attarde jamais pour rentrer par peur qu’elle n’ait pas assez d’énergie pour bien s’occuper de lui…
Elle fume. Elle dit qu’elle sort sur le balcon, mais ce n’est pas toujours le cas. Je sens l‘odeur des cigarettes dans l’appartement, je m’inquiète pour les poumons des enfants et je choppe une allergie. Elle dit que c’est à cause des chats. OK. Je ne rentre pas dans le conflit, cela ne servira à rien. Mais je sens que je ne pourrai pas passer un mois entier dans ces conditions.
« Maman, pourquoi mamie ne joue pas avec moi et ne nous accompagne pas aux balades ? »
Entendre mon fils me le demander me fait énormément de peine. Je lui explique que sa mamie est malade et je décide de le mettre au centre de loisirs pendant quelques jours. Il est très sociable et va s’éclater avec d’autres enfants, même s’il ne les connaît pas. De plus cela lui aura été bénéfique pour faire des progrès dans ma langue maternelle qu’il comprend bien, mais ne parle pas beaucoup. Pendant ce temps, je fais des balades avec le petit dans la poussette et rencontre mes amies.
Mon mari, en plein déménagement, m’appelle de temps en temps. Il se plaint que le déménagement est très fatiguant. Il n’a pas le temps de manger. Il travaille la journée et s’occupe à faire les cartons le soir et le week-end. Réception des clés. Quelques problèmes pas prévus. Sa mère l’aide. Elle adore tout ce qui est administratif et la gestion des problèmes…
– « Le plan de travail devait avoir les angles droits ou arrondis ? »
– « Arrondis… »
– « Eh bien, ils sont droits ! »
– « Les angles du bar non arrondis à la hauteur des yeux des enfants, c’est dangereux. »
Il s’énerve. Il ne sait pas dire « J’ai mal géré, désolé » ou « Oui, tu as raison… » Il se braque, blessé dans son amour-propre, il passe le téléphone à sa mère qui nous a recommandé le cuisiniste. Elle m’explique qu’ils font de leur mieux, et qu’il faut que j’arrête de leur mettre la pression. Profite de tes vacances !
“Mutual misunderstanding
After the fact
Sensitivity builds a prison
In the final act”
(« Sacrifice », Elton John)
Oui, je suis en vacances. Allez, je vais profiter !
***
« Il n’y a pas de fumée sans feu – suite »
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