La plus belle fleur pour ma maman

Si vous aviez la possibilité de changer un seul souvenir de votre enfance, ce serait lequel ?

« Kochana mamo gdy będę duży/
Ma maman chérie, lorsque je serai grand
To Ci przywiozę wielbłąda z podróży »
Je t’amènerai d’un voyage lointain un beau chameau

Na jego grzbiecie wygodnie siądziesz
Tu t’assoiras confortablement sur son dos
Aby do pracy mknąć na wielbłądzie. »
Et il t’emmènera ainsi au travail

J’adore dessiner, découper et coller. Lorsque je reste chez ma grand-mère, je dessine énormément. Elle regarde la télé et moi je dessine. Tranquillement. Dans une ambiance apaisée.

C’est bientôt la fête des mères. Je suis en moyenne section de maternelle. A l’école, nous préparons un spectacle qui sera présenté devant tous les parents. Un spectacle pour nos mamans chéries. J’ai hâte de chanter la chanson que j’ai apprise par cœur. J’aime chanter, comme tous les enfants d’ailleurs.

Toute la semaine je me suis appliquée pour faire la plus belle fleur en papier froissé pour ma maman. J’ai mis tout mon cœur dans chaque pétale, dans chaque feuille et dans la tige. C’est une tulipe rouge. Chaque élément bien collé, bien ficelé. Je la perfectionne avec mes petites mains, à côté de mes camarades qui en confectionnent aussi.

Je suis fière de la mienne qui me paraît tellement belle. Et je me réjouis à l’idée de la fierté que je verrai dans les yeux de ma maman lorsque je la lui offrirai le jour du spectacle. C’est le mois de mai. Le mois de mon anniversaire aussi. Tout est réuni pour que je sois une enfant heureuse… la plus heureuse au monde.

« Kochana Mamo, gdy będę duży,
Ma maman chérie, lorsque je serai grand
to Ci przywiozę małpeczkę z podróży.
Je t’amènerai un petit singe d’un voyage lointain
Długim ogonkiem to zwinne zwierzę
Ce petit animal avec sa longue queue
będzie za Ciebie zmywać talerze. »
T’aidera à faire la vaisselle

Le jour de la fête est arrivé. La tulipe est prête. Et moi aussi. Une jolie robe. La chanson dans la tête. Et maman est déjà arrivée. Ça y est ! Que la fête commence !

Les chansons s’enchaînent. Les fleurs sont regroupées sur une table. Chaque enfant qui a chanté en offre une à sa maman. C’est la maîtresse qui les distribue. J’observe. J’écoute. Tous mes sens sont en éveil. Je savoure le moment. Je trépigne d’impatience en attendant mon tour…

« Mais qu’est-ce qui se passe ???!!! » Crie une petite voix dans ma tête. « Mais noooon ! Ce n’est pas possible ! »

La maîtresse a donné MA fleur à un autre enfant et celui-ci s’apprête à l’offrir à sa maman à lui.

J’ai vite analysé la situation. J’ai rapidement compris l’horreur de la chose. Je cours vers la maîtresse. « Maîtresse, c’est MA fleur, c’est moi qui l’ai faite POUR MA MAMAN ! »

Elle me regarde. Elle me sourit. « Ne t’inquiète pas, tu en auras une autre aussi belle. »

Je n’ose plus répondre. JE VEUX MA FLEUR, pas une autre. L’autre enfant a déjà donné la mienne à sa maman, je comprends qu’il est trop tard pour la récupérer. Je retourne m’asseoir à côté de maman. Je lui dis que c’était ma fleur pour elle. Je ne me souviens pas ce qu’elle ma répondu. Elle m’a certainement dit que ce n’était pas grave. Toutes les mamans disent ça…

Mon émotion est forte. Tristesse. Déception. Sentiment d’injustice. Comment cela peut se faire que j’aie mis toute mon âme dans la réalisation de cette fleur et que je ne puisse pas l’offrir à ma maman ? Je suis horrifiée. Je haïs cette stupide maîtresse. J’ai envie de lui hurler dessus, de l’insulter. Lui dire qu’elle est un monstre. Qu’elle n’a rien compris aux enfants. Je me fais violence pour rester en place et ne pas crier. Et surtout pour retenir les larmes, mon tour va bientôt arriver, il va falloir chanter…

Mais je n’ai plus aucune envie de chanter. Envie de rien. La fête est foutue. Aucun plaisir à continuer cette soirée

Je me sens tellement incomprise.
Trahie.
Je chanterai avec la boule au ventre et la gorge serrée.

La maîtresse me donnera une autre fleur dont les pétales sont à moitié décrochés. Une fleur mal faite et moche. La plus moche des fleurs en papier froissé.

Sur le chemin de retour d’autres pétales tomberont. La fleur se désintègre. Maman et moi décidons de la jeter dans une poubelle. Il n’y a rien à sauver. Et de toute façon à quoi bon puisque ce n’est pas ma fleur à moi…

Ce foutu souvenir…

Je n’ai toujours pas compris ce qui s’est passé ce soir-là.

« Kochana Mamo, gdy będę duży,
Ma maman chérie, lorsque je serai grand
to Ci przywiozę tłum zwierząt z podróży.
Je t’amènerai d’un voyage un tas d’animaux
Niech wszystkie ze mną mówią to samo,
Et tous ces animaux répèteront en chœur avec moi
że bardzo Ciebie kochamy, Mamo.
Que je t’aime maman très fort.