Dites au monde que je n’en fais pas partie

Chaque fois que je monte l’escalier à la maison, je suis essoufflée, comme si j’avais couru un cent mètre.

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Je ne fume pas. J’ai un poids équilibré. Je prends des vitamines. D’où cette fatigue ? Serais-je anémiée ? Une prise de sang. Non, pas d’anémie. Tous les autres résultats sont corrects. Je me dis que c’est la seconde grossesse et l’allaitement prolongé qui m’ont épuisée. Ceci dit, mon cadet a déjà 3 ans…

Je ne travaille pas depuis deux mois déjà. Après avoir quitté l’entreprise fin juillet, nous sommes partis en vacances dont j’ai profité tant bien que mal, et c’est déjà la rentrée. J’essaie de rassembler les forces pour songer à ma reconversion professionnelle, mais je manque cruellement d’énergie. Pendant plusieurs semaines mon seul objectif de la journée sera d’être prête, douchée et habillée, pour aller chercher les enfants à la sortie d’école. Et parfois de les récupérer au centre de loisirs à 18 heures.

Je n’ai pas encore 40 ans et je me sens comme si j’en avais 80.

J’étais censée faire un bénévolat dans une grande association caritative. Quand j’ai postulé pour ce poste, avant l’été, j’en avais très envie. Pour faire quelque chose d’utile et qui me correspondrait davantage. J’ai passé un entretien. J’ai bénéficié d’une petite formation. Je devais y consacrer une journée et demi par semaine pendant un an. J’y suis allée 3 fois. Métro, bureau… Je n’y arrive pas. Je n’arrive pas à me lever.

J’envoie un e-mail à la responsable du service pour décaler ma journée de bénévolat. La fois d’après pour annuler ma présence et l’informer de l’impossibilité de continuer ma mission. Je m’excuse. Je parle d’une force majeure, d’un problème personnel. Elle me répond aussitôt. Je range son e-mail dans le dossier « classés » sans l’avoir ouvert ni lu. Je n’en suis pas capable. Cela pourrait me fragiliser encore plus. Et je ne suis pas en l’état d’argumenter, d’expliquer et je n’ai surtout pas envie de me laisser convaincre d’y retourner.

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L’évidence me saute aux yeux. Je veux encore et toujours m’occuper des autres. Mais qui s’occupe de moi ? Je ne dis même pas à mon mari que j’ai abandonné cette mission qui me tenait à cœur. Moi, une personne tellement persévérante, qui ne lâche jamais, qui va toujours jusqu’au bout. Je ne peux plus me voiler la face. La seule réponse valable serait de dire « j’ai une dépression ». Mais cela ne se dit pas, n’est-ce pas… Et d’ailleurs qui me croirait ? C’est un sujet tabou. La preuve ?

Va bosser, au lieu de vivre aux crochets de ton mari !

Une personne de mon entourage proche me le lance pour une énième fois. Zéro empathie, zéro compréhension, zéro bienveillance, zéro indulgence. Allez, encore un coup sur la tête. J’essaie donc de sauver ma vie familiale, mon couple, ma santé, et on me dit que je suis une bonne à rien. Je me suis toujours donnée à fond, de longues études, plus de dix années de vie active, deux enfants, mais ma valeur se résumerait au fait de travailler ou non, de ramener de l’argent à la maison ou non. La question de travailler ou non ne devrait donc pas se poser. Il ne faut surtout pas sortir du lot. Être productive. Point.

Les féministes ne se sont pas battues pour que je reste maintenant à la maison, n’est-ce pas ? Et puis, dans notre famille les femmes ont toujours travaillé. Mes deux grands-mères. Ma maman. Et elle aussi : ma grande sœur. Cette voix qui résonne dans ma tête, qui me répète que je suis « un parasite »… Ça y est, c’est dit, la Fée Carabosse veut encore prendre le dessus. Comme toujours depuis le moment où elle s’est penchée au-dessus de mon berceau quand je suis née. Elle avait trois ans et quatre mois de plus que moi…

Elle n’est pas mariée et n’a pas d’enfants. Depuis quelques années en couple avec un homme divorcé qui a trois garçons de sa première liaison. Je ne les ai jamais critiqués, jamais jugés, jamais fait de reproches. J’ai toujours été contente pour eux, qu’ils se soient trouvés. A l’arrivée de son troisième enfant, lui n’a plus supporté l’ambiance à la maison, sa femme au foyer, les crises perpétuelles. Ils ont décidé de se séparer. Ou c’est lui qui a claqué la porte, je ne sais pas exactement, ils ne se dévoilent pas facilement. A leurs yeux je suis probablement une copie de son ex… Je pense qu’ils ont une image biaisée de toutes les femmes mariées, et de surcroît au foyer, en les voyant à travers le prisme de leur propre expérience.

♪ « Stone, le monde est stone
Froid au toucher
Et dur pour l’âme
Dans le gris des rues
Dans les néons éteints
Je recherche un signe
Que je ne suis pas toute seule
Que je ne suis pas toute seule ici » ♪
(Cyndi Lauper, « The World is Stone » version by Disney)

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Il pleut encore. Je suis complétement « météo sensible », ou, pour être précise, je suis dépendante du soleil. Dès qu’il pleut, je perds toute la motivation. Bon, cette fois-ci, je ne risque pas de la perdre, puisque je n’en ai pas. Ne pas oublier les kway et les bottes de pluie pour les enfants. Ce soir, ce sera soit le bus soit à pied.  Certes, je ne danserai pas (encore) sous la pluie, mais une balade me redonnera un peu d’énergie.

Un jour une nouvelle dent se casse. J’ai de gros problèmes avec mes dents depuis toujours, et surtout depuis quelque temps. Je vais voir ma dentiste, c’est une vraie magicienne… Après l’intervention, elle m’interroge. Santé, travail, enfants. Je lui parle de ma fatigue chronique. Je résume en quelques phrases, tout ce qui s’est passé depuis que j’ai changé de travail, et aussi avant. Elle me dit que ma fatigue physique a une source psychologique. Est-ce possible, à ce point-là ? Je craque…

Oui, une fatigue chronique causée par l’accumulation de multiples traumatismes psychologiques, même mineurs. Problèmes au travail. Manque prolongé de sommeil. Problèmes de couple. Crise existentielle. Problèmes de santé dans la famille…  Elle me prescrit de l’homéopathie. Rien que de lui avoir parlé, être entendue et comprise, me fait énormément de bien. Je rentre chez moi. Je décide de mettre les mots sur mon mal-être. Il faut accepter et avancer par petits pas. J’ai obtenu ma rupture conventionnelle, dans deux mois je commence une formation qui sera adaptée à mon nouveau rythme de maman à la maison. Je ne suis pas à la rue. Le pire est derrière moi.

Ce n’est pas après tant de batailles gagnées, qu’il faut perdre la guerre.

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Allez, oh hisse ! Une fois la douche prise, j’ai le temps de préparer le dîner avant d’aller chercher les enfants à l’école. Peut-être aussi un peu de télé, autre chose que les dessins animés, ou un livre, cela fait des siècles que je n’ai rien lu. A l’attaque. Une cure naturelle pour mes douleurs chroniques. Un léger somnifère pour améliorer mon sommeil. Beaucoup de livres. Un abonnement à la musique sur mon mobile. Me faire plaisir. Et surtout assumer à 100 % ma décision de sortir du moule.

Ne pas vivre pour les autres. Sinon vivre uniquement pour ceux qui en valent la peine…

Je commence à voir le sommet de la montagne. Je vais me relever car j’ai absolument tout pour y arriver. Cette année-là, à Noël, mon mari m’offrira une lampe de luminothérapie… que j’utilise depuis bientôt deux ans.

♪ « Do you need some time… on your own
Do you need some time… all alone
Everybody needs some time… on their own
Don’t you know you need some time… all alone » ♪
(Gun N’Roses, « Novembre Rain« )

 

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2 réflexions sur “Dites au monde que je n’en fais pas partie

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