Que faire lorsqu’on n’arrête pas de courir et on n’a pas le temps de se poser ni de se reposer ?
Nous sommes partis récemment rendre visite à un couple d’amis en Suisse, dans le canton de Zurich. Un dimanche de novembre. Il faisait plutôt froid. Une balade au lac. Le calme absolu…
Des pêcheurs sur un pont. Immobiles. Tranquilles. Détendus. Des papas avec leurs enfants. Une image sublissime. Je les observais avec mon fils cadet. Un pur moment de délectation.
En quoi sont-ils différents de nous ? Comment font-ils pour trouver le temps de s’arrêter ?
Je suis, moi aussi, un peu prise par le temps en ce moment. Plusieurs textes attendent que je les termine. Et quand je suis dans le feu de l’action, difficile de poser les émotions sur le papier ou de les taper sur l’ordinateur.
Avant ce nouveau week-end qui marquera une étape importante dans ma vie, j’ai décidé de partager avec vous un texte que j’ai écrit il y a quelques années. J’avais 26 ans. Je n’étais pas encore mariée. Je n’avais pas encore mes deux garçons.
J’avais le temps. Le temps de flâner. Le temps de m’arrêter. D’observer. D’écouter. De respirer. De profiter du moment présent.
Je suis allée à Paris et j’ai passé plusieurs heures sur l’Île de la Cité. Sur le Pont Neuf. C’était comme un long moment de méditation.
Savez-vous que la méditation se fait les yeux ouverts ?
C’était comme un retour au plus profond – non de moi – mais au fond de l’âme de cette ville magique, de sa respiration, de ses souvenirs, de ses rêves… Paris d’antan.
C’était bien avant que je ne supporte plus d’y aller…
Voici le texte :
« En ce samedi d’automne, le Pont Neuf, le plus vieux pont de Paris, semble fatigué et se demande pourquoi on le considère comme un lieu de jeunesse et d’audace. Sa vie est marquée de contrastes, et c’est usant.
Malgré une multitude de passants, il se sent seul.
Des gens le traversent sans lui prêter la moindre attention. Ses fameuses tourelles semi-circulaires, ces demi-lunes accueillantes, sont toutes vides en cet après-midi. Les amoureux qui lui ressemblent tellement, parce qu’en se tenant les mains ils forment un pont, sont rares. Et ils se parlent doucement.
Il aimerait tant entendre ce qu’ils se racontent…
Les voitures et les motos brûlent le pavé. Le bruit assourdissant des roues sur le pont ne s’arrête que pour de très courts instants de silence pendant lesquels une oreille fine arrive à entendre : le bruissement des feuilles jaunes qui ne veulent pas encore se séparer des arbres sur les quais de la Seine, et le cri des mouettes qui, de temps en temps, survolent le pont en étendant leurs ailes, en planant.
Un homme d’une soixantaine d’année, habillé en noir et portant une longue écharpe rouge se démarque. Il traverse le petit bras du pont plusieurs fois.
Qui attend-il ? Un ami ? Un amour ?
On ne le saura jamais car il disparaît au bout de quelques minutes.
La vitesse des véhiculent contraste avec l’ondulation tranquille et docile du fleuve et le rythme lent des bateaux sous le Pont Neuf. C’est là que stationnent ou passent ses amies : Cécilia, une péniche de transport, Marie-Jeanne, un voilier à deux mâts, et surtout ses amoureuses, les Vedettes du Pont Neuf.
Cette vie d’en bas lui permet d’oublier le vacarme d’en haut, et les bateaux-restos remplis de lumière et de chaleur sont bien plus agréables que les cars de visite « Paris l’Open Tour » ou « Les Cars Rouges » qui traversent le pont et sont durs à supporter. Puisque le Pont Neuf n’est pas très en forme. Trois des arches de son grand bras sont en restauration.
Des barricades couvrent ses blessures.
En se demandant pourquoi l’on dit « Être solide comme le Pont Neuf », il attend impatiemment lundi qu’on revienne s’occuper de lui, le soigner. Le contraste entre sa partie rénovée et le reste abîmé et noirci par les gaz d’échappement de voitures est une image déchirante…
La nuit commence à tomber. Dans quelques heures, le Pont Neuf pourra se reposer.
Il rêvera aux sabots des chevaux et aux roues des carrioles de son enfance… »
Et pour celles (et ceux) qui restent sur leur faim, voici celui d’un grand poète :
« Le Pont Mirabeau », Guillaume Apollinaire