Dans les bras d’un ange

C’est le jour de mon mariage. Nous dansons, joue contre la joue, au rythme de la chanson « You » du groupe « The Sharp ». On discute. On rigole. La fête est très réussie. Il restera avec nous parmi les derniers invités jusqu’au petit matin.

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Ce n‘est qu’en regardant le film et les photos de mariage quelques semaines plus tard, que je remarquerai son regard tendre posé sur mon visage.

Mon ami de lycée. On se rencontre à l’âge de 15 ans. Grand, cheveux bruns, yeux marron. Un beau garçon. Visage sérieux et triste, même s’il aime rigoler. Il a le sens de l’humour. Élève plutôt médiocre. Attitude nonchalante pour ne pas dire « je m’en-foutiste ». Il sèche parfois les cours. Les profs laissent passer, tout le monde connaît son histoire… A la fac les choses vont se corser. Entre adultes plus de place pour gérer la sensibilité de ce Peter Pan qui n’a pas grandi…

Nous avons trainé ensemble et révisé les cours pendant plusieurs années, d’abord adolescents, ensuite jeunes adultes. Il n’a jamais été très bavard. Il ne parlait jamais de lui. J’avais envie qu’il le fasse, mais je n’ai jamais osé lui poser de questions. Il me racontait les films qu’il regardait au cinéma, je l’écoutais. J’aimais sa présence. Une présence apaisante. Il était toujours calme, posé. Son père me taquinait en disant qu’il voyait en moi une belle-fille idéale. Mes parents l’aimaient bien aussi. Il discutait avec mon père de la politique et de la religion.

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En classe, on se cherchait du regard. J’attendais secrètement qu’il fasse le premier pas. Il n’a jamais rien dit, jamais rien demandé, fuyant de manière évidente tout engagement sentimental. Mais il y avait un vrai feeling entre lui et moi. Pas besoin de parler pour se sentir bien ensemble. Je me souviens de la fois où il m’a dit :

Les vrais amis se reconnaissent dans le silence qui ne leur pèse pas.

Je pense que notre relation était assez ambigüe aux yeux des autres, mes copines de lycée ne voulaient pas me croire quand je leur disais que nous étions justes potes. Un jour, nous sommes allés cinéma voir « Forrest Gump ». Sa main était posée sur l’accoudoir tout près de la mienne. J’avais envie qu’il prenne la mienne dans la sienne. Il ne l’a pas fait… Il attendait peut-être que je fasse le premier pas.

Le temps passait. Je suis sortie avec un garçon, ensuite avec un autre. Il n’était jamais très loin, et cela n’avait pas l’air de lui poser problème. Pendant toutes ses années, il ne m’a jamais présenté de copine à lui. On continuait à se voir de temps en temps jusqu’à la fin de nos études. Après, nos chemins ne se sont jamais complètement séparés, à chaque fois que je revenais dans ma ville natale, je trouvais un moment pour aller le voir.

“ Ça n’est pas ma main, là, dans la tienne
Ta veste sur mes épaules
Non c’est pas ce que tu crois
Juste que j’ai froid
Ça n’est pas ma main, là, qui te gêne
Je sais, ça n’est pas drôle
Mais c’est pas ce que tu crois
C’est juste comme ça ”
(Zazie, “ Ce n’est qu’une chanson d’ami “)

Amitié ou amour ? L’amitié, c’est déjà tellement bien. Et l’amitié entre un homme et une femme, c’est tellement inespéré.

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Le jour de mon mariage, il a fait un énorme effort. Venir, s’amuser, danser, rire. J’apprendrai quelques années plus tard que la date de mon mariage était l’anniversaire du décès de sa maman. Je savais qu’il avait huit ans quand elle est partie, elle avait un cancer. Mais je ne connaissais pas la date exacte, j’en aurais choisi une autre pour mon mariage.

Elle s’est battue jusqu’au bout pour ses enfants – lui et sa sœur, de six ans son aînée. Comme cela devait être dur pour leur maman, je ne peux même pas imaginer. Je ne sais pas ce qui est pire : perdre son enfant lorsqu’on est maman ou perdre sa maman lorsqu’on est enfant. Je pense que c’est le summum du malheur.

“ Perdu au fond de sa classe
Il s’emmêle
Il se débat avec le coriace
Pluriel
Puis il explique à sa maîtresse
Pourquoi « parent » ne prend pas d' »s »
Des câlins il en voudrait tellement
Ne serait-ce qu’un par an ”
(Calogero, “Portrait“)

Il ne m’en a jamais parlé. Sauf une ou deux fois. « Je lui en veux à ma mère d’être morte, de m’avoir abandonné. » C’était horrible l’entendre le dire et la manière dont il l’a dit. Je n’ai pas su réagir, quoi répondre. Nous devions avoir 16 ou 17 ans. J’aurais dû trouver les mots pour le consoler. J’aurais dû être une vraie amie. Il a dû me trouver complètement insensible à sa souffrance…

Une autre fois il m’a encore dit : « Mon père m’a tout donné sur le plan matériel ; jouets, vêtements, voyages… mais il n’a pas été assez présent pour moi. A tous ces objets, j’aurais tellement préféré sa présence. » Toujours pas de réaction de ma part. Ou je me trompe ? Peut-être qu’il a perçu une réaction dans mon regard ? Dans ma présence silencieuse ? Je l’espère en tout cas…

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Après la naissance de mon fils aîné, mon mari et moi parcourons en voiture les quelques centaines de kilomètres pour présenter notre nouveau-né à la famille et aux amis. Nous en profitons pour inviter tout le monde au baptême du petit qui aura lieu au début de l’été. Mon ami me fixe rendez-vous dans l’un de ses bars préférés, style bohémien. Mon mari le connaît bien, pas de problème, il gardera le bébé ce soir-là. Nous prenons une bonne bière en terrasse. Il fait frais. Il pose sa veste sur mes épaules. Nous parlons peu. Nous nous fixons du regard. Je l’invite au baptême. Oui, il viendra. Il me le confirme plusieurs fois.

Un peu plus de deux semaines avant le baptême, je fais le plan de la table des invités. Tiens, il n’a toujours pas confirmé sa présence et ne m’a pas dit s’il viendrait seul ou accompagné (ok, pour ça je connais la réponse). Relance par sms. Toujours rien. La boîte email reste vide aussi. Je l’appelle. Messagerie vocale.

Le lendemain, un appel. Une voix que je ne connais pas. Il se présente. C’est son beau-frère, le mari de sa grande sœur. Mon ami ne pourra pas venir au baptême, il a eu un accident, il est décédé, il n’a pas souffert… Il n’avait que 33 ans.

La boule au ventre. La nausée. Non, ce n’est pas possible, il m’a dit qu’il viendrait au baptême…

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Trois ans avant, son père est mort du même cancer que sa maman. C’est à ce moment-là qu’il s’est mis à parler. Pour la première fois. Il tournait en boucle. Là aussi, je n’ai pas su le réconforter. Que dire face à tant de malheurs qui s’abattaient sur lui ? Tandis que pour moi tout se passait pour le mieux. Vie de couple, projets de bébé…

***

Je dépose un bouquet de roses jaunes, symbole des sentiments amicaux, sur sa tombe.

“ You’re in the arms of the Angel
May you find some comfort here ”
(Sarah McLachlan, “In the arms of the angel”)

Mon père a souhaité m’accompagner à l’enterrement. J’ai réussi à réunir quelques camarades de lycée. L’église est pleine… Je vois sa sœur. L’image me déchire le cœur. Sa souffrance est extrême. Où trouvera-t-elle la force pour continuer à vivre ? A élever sa fille ?

Elle qui à l’âge de 14 ans était devenue une maman de remplacement pour son petit frère…

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Je l’ai souvent entendu chantonner « You are always on my mind« . Il n’a jamais cessé de penser à elle… Et je crois très fort qu’il y a six ans, il a rejoint le seul amour de sa vie, comme l’ange dans la « Cité des anges » qui saute dans le vide pour retrouver sa bien-aimée…

“ It’s alright with me
As long as you are by my side
Talk or just say nothing
I don’t mind your looks never lie
Words often don’t come easy
I never learned to show the inside
And you always patient
Dragging out what I try to hide ”
(The Sharp, « You are always on my mind« )

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